Le Bataillon « MINERVOIS » en Allemagne
Nous entrons, le 8 avril, à Karlsruhe, où nous assurons momentanément les services de garde et la sécurité des troupes de choc; les hommes sont heureux, car les fabriques de cigares ne manquent pas, et ils peuvent fumer à volonté, ce qui ne leur était pas permis depuis longtemps. Nous en profitons aussi pour récupérer des voitures et, à l’occasion, compléter notre matériel.
La déroute allemande se transforme en débandade; les convois de prisonniers affluent sur Karlsruhe; cela me rappelle nos longues colonnes de juin 1940 dirigées vers la captivité : « La roue a tourné ».
Et nous voyons aussi, avec combien de plaisir, passer des camions où flottent d’innombrables drapeaux tricolores et transportant en France les premiers déportés et prisonniers français que notre avance a libérés après 5 ans de souffrances; les mots ne suffisent pas pour décrire leur joie. Ils sont vraiment ivres, ivres de bonheur …!
Ils chantent sans arrêt la Marseillaise, et la vue d’un de nos uniformes les fait hurler : VIVE LA FRANCE !
Au cours d’un arrêt, un Lieutenant-Colonel aux cheveux blancs, au visage creusé par les privations, me saute au cou et crie les bras dressés vers le ciel : « Bravo, les Maquisards, vous nous avez vengés ».
Je crois que des larmes de joie m’en sont venues aux yeux.
Pendant ce temps, la main d’œuvre ne manque pas parmi les civils allemands qui se montrent empressés, voire même serviles. Ils déblaient les rues que les bombardements alliés ont obstruées, ils démolissent les barricades et les barrages, derniers vestiges d’une résistance qui ne pouvait nous arrêter.
Le 18 avril, nous recevons l’ordre de nous diriger sur Offenburg; nous quittons Karlsruhe le 19 mais il y a un entre-temps un changement, et c’est à Lahr que nous aboutissons. Nous n’y coucherons qu’une nuit, car le nettoyage de la Forêt Noire est poussé avec activité et, le 20 avril, nous quittons les grands axes de communication pour nous engager dans la montagne, souvent hostile, mais toujours si belle! Mon acrobate de motocycliste BANDINELLI est chargé de la liaison avec le PC du Bataillon.

Source : GeoBasis
Voici reproduit in-extenso, le compte-rendu que le Chef de Bataillon ALLAUX devait adresser au Colonel à l’issue de notre première opération dans le secteur : Le 20 avril 1945, le Bataillon étant cantonné à Lahr je reçois à 11h00 l’ordre de faire mouvement (sauf la 8e qui est restée à Offenburg et se déplace sur Lahr pour assurer la garde des prisonniers fait par le groupement BOURGUND).
Le 2e Bataillon du 81e RI est mis à la disposition du groupement BORGUND qui agit sur l’axe Biberach-Haslach, et qui a pour mission de s’emparer de Steinach et de Haslach. Le Bataillon doit faire mouvement sur Schuttertal, et se porter ensuite sur le lieu d’opération : Steinach-Haslach. Itinéraire : Schuttertal, Col de Neuhäuserhof (qui doit être tenu par l’ennemi) carrefour de Bendenkirche.
Arrivé à ce carrefour, le Bataillon doit prendre liaison avec le 21e RIC qui a pour mission de s’emparer de Steinach par un mouvement débordant sur l’axe Niederbach-Oberlach.
Deux hypothèses sont à envisager :
1°) Si le 21e RIC s’est emparé de Steinach, appuyer son action sur Haslach en se portant sur Hofstetten.
2°) Si Steinach n’est pas tombé, appuyer le 21 RIC en débordant Steinach par le sud.
Le Bataillon part à pied à 14h00, de Lahr (où la sécurité reste assurée par la 8e Compagnie qui vient de rejoindre) et arrive à Schuttertal à 17h00. Son effectif est réduit à 3 Compagnies de 3 Sections et une section de mortiers de 81 m/m.
Une reconnaissance faite par le Capitaine GAYRAUD essuie des coups de feu près de la ferme de Neuhäuserhof; le Capitaine GAYRAUD et le soldat DELACROIX sont blessés, le premier au bras gauche et au visage, le second à la main droite. Après son regroupement à Schuttertal, le Bataillon se dirige sur son objectif, la 6e Compagnie au nord, les 5e et 3e au sud du chemin de Schuttertal à Welschensteinach. Le col de Neuhäuserhof est atteint sans difficultés et n’est pas tenu par l’ennemi, mais une vive résistance nous attends à la côté 307.
(Je signale au passage que le Lieutenant-Colonel BOUSQUET avait rejoint le Commandant ALLAUX, et suivait de près l’opération de son cher « MINERVOIS » prêt à faire le coup du feu aux côtés de ses anciens maquisards.)
Des armes automatiques, placées sur la côté 307 et dans le bois situé à 400 mètres au sud-ouest de Bendenkirche nous prennent à partie.
Les hommes de la 6e compagnie, admirablement entraînés par le Lieutenant TRILLES, progressent sous le feu, et la Compagnie atteint à 21h00 le carrefour de Bendenkirche qu’elle occupe, pendant que les 5e et 7e Compagnies atteignent la croupe sud-ouest du carrefour. La nuit tombante ne permet pas la poursuite de la progression; les Compagnies s’installent en PA fermés, avec mission de tenir coûte que coûte le carrefour. Pertes de la journée : 2 tués (Sergent-Chef HEQUET, Sergent SALACRUCH) 9 blessés, dont un très grave qui ne survivra pas (Caporal TEISSEYRE).
Nous avons fait une trentaine de prisonniers, dont un Capitaine et un Adjudant.
Le nuit venu, les hommes en place et les tours de garde établis, je descendis à la recherche du Commandant qui m’avait fait appeler. Je le trouvai dans l’une des premières maisons du village, où l’on avait transporté les blessés. Là, NOELLE (car ma filleule ne nous a jamais quittés), NOELLE me prit la main, Parrain… viens voir…. Je la suivis à l’intérieur de la maison, sur des lits, sur des tables, les blessés étaient allongés, et BOUSQUET, notre médecin auxiliaire, se multipliait. Je m’approchai du premier lit, et là immédiatement, je reconnais le Caporal TEISSEYRE, de Peyriac, un de mes anciens. Il me reconnut aussi, car sa main se crispa sur la mienne. BOUSQUET s’étant approché, je l’interrogeai du regard….une moue des lèvres fut sa seule réponse. J’aidai les infirmiers et NOELLE à installer le blessé sur la chenillette qui devait le transporter à Schuttertal, il devait mourir en cours de route.
Toute la nuit cette chenillette assura l »évacuation de nos blessés. Et BOUSQUET ne put prendre une seule minute de repos. J’avais, de mon côté, suivi du Commandant ALLAUX dans une maison que ses habitants avaient désertée et, tout en mangeant quelques provisions de fortune, nous arrêtâmes la marche à suivre pour le lendemain, avant de nous allonger coté à coté, à même le sol, pour dormir un peu. Avant le jour, nous étions debout. À 7h00 je fais appeler l’Aspirant VAUCHER et lui demande d’assurer, suivant le plan prévu, la liaison avec le 21e RIC. VAUCHER s’acquitte de sa mission et le chef de Bataillon du 21e RIC à qui il se présente lui affirme que, grâce à notre action sur Welschensteinach, nous avons permis à son groupement de s’emparer la veille à 21h00 de Steinach. La première des deux hypothèses prévues entre donc en jeu… Nous achevons le nettoyage de la localité: l’ennemi a profité de la nuit pour se replier soit sur Steinach où de nombreux prisonniers ont été capturés, soit sur Hofstetten où nous allons sans doute les pour- suivre.
À 8h30 en effet, le Chef de Bataillon reçoit l’ordre de marcher sur Hofstetten, par le col de Fehrenbacherof c’est une marche – ascension sans incident mais très pénible à travers des montagnes excessivement touffues. Mes mitrailleurs lourdement chargés n’ont pas soufflé une minute. Ce jour-là, à la vue du caporal SCHIVARDI chargé comme un mulet, j’ai cru comprendre que la résistance humaine n’avait pas de limite.
Le Sergent-Chef RADONDE, et le Chef de pièce PAGE (Philippe l’éternel rouspéteur) s’aidaient mutuellement … et tout le monde grimpait… grimpait ….
En cours de route, quelques légers accrochages, et nous faisons une dizaine de prisonniers. Nous occupons Hofstetten à 11h00. A 16h30, l’ordre est donné de se porter sur Haslach qui a été pris par le 21e RIC. Nous l’atteignons à 17h30 et prenons nos cantonnements pour la nuit.
Notre avance est excessivement rapide, très rapide même, et les arrières des troupes de choc risquent d’être découverts; c’est pour parer à ce danger et nous donner un peu de répit que, le 22 avril, nous devons occuper Elzach, Bleibach et Waldkirch. Les pentes environnantes n’ont pas encore été nettoyées et sont très boisées, des points d’appui sont constitués aux issues des villages et bouchent les vallées de l’est et à l’ouest, afin de faire face à toute éventualité, sur de nombreux groupes ennemis armés nous sont signalés dans la région.
Le 23 avril, nous sommes installés; nous faisons, ce même jour, 50 prisonniers de la Wehrmacht, 36 le lendemain. Mais le 25 nous repartons; notre Bataillon remonte la délicieuse vallée de Simonswald, et les Compagnies reçoivent l’ordre de garder et de nettoyer les petites vallées y aboutissant.
Le 26 avril, nouveau déplacement, ma Compagnie doit se rendre à Sankt Peter et Sankt Märgen, en passant par le col de Kandel. un des points les plus hauts de la Forêt Noire. Ayant été moi-même accidenté, je ferai le déplacement en voiture, et c’est le Sous-Lieutenant CIOPANI qui amène la Compagnie, que je suis d’ailleurs, en ayant bien soin de ne pas m’en séparer. Les hommes sont très chargés avec leur sac complet, la pente est très raide, la chaleur accablante, de plus ayant reçu l’ordre de nettoyer les bois en montant, c’est en réalité une marche de 25 kms en montagne, à travers des bois très épais, que ma Compagnie entreprend. Mais, malgré la fatigue, le moral est excellent, et c’est en un temps record (que soulignera le Lieutenant-Colonel BOUSQUET lui-même) que ce déplacement s’effectue. En effet, l’ordre étant d’atteindre Sankt Peter avant 17h00, c’est à 11h00 exactement que la 5e Compagnie au complet y arrive, les hommes ont marché, chargés à bloc, en montagne, pendant 5h00, sans prendre une seule minute de repos !
Le MINERVOIS est toujours là pour un coup de collier! Le Bataillon a la mission d’assurer la sécurité de la route Neustadt-Fribourg, en occupant Neustadt (8e Compagnie), Waldau (6e Compagnie), Sankt Märgen et Sankt Peter (5e Compagnie) et Kirchzarten (7e Compagnie).
Des patrouilles régulières dans les environs nous permettent de capturer : le 27 avril, 56 prisonniers, le 28, 44; le 29, 58. Ce même jour, la Section CASTRES, de la 6e envoyée en patrouille est accrochée par un groupe de SS.
Un homme est tué (ORTUNO Vincent), le Sergent BOUCHE grièvement blessé. Mais le décision nous reste : 6 SS sont tués et la Section ramène 25 prisonniers.
Le 3 mai, la 5e Cie fait encore 30 prisonniers aux environs de Sankt Märgen.
Et arrive la journée mémorable du 8 mai : la radio nous apprend que l’armistice est signé; la joie est dans tous les coeurs; les civils allemands respirent, nos hommes sont fiers, et la satisfaction du devoir rempli se lit sur les visages. À 11h00, la Section détachée à Sankt Peter ayant été convoquée toute la 5e Compagnie se trouve rassemblée sur la place de Sankt Märgen où, depuis notre arrivée, le drapeau tricolore flotte au sommet d’un mât.
J’annonce officiellement à tous la grande nouvelle, je leur rappelle les heures vécues pendant la résistance et au moment de la naissance du « MINERVOIS », nous jurons tous de nous retrouver, chaque année, après la guerre, toujours plus unis, toujours plus forts.
À l’issue de ce rassemblement, une vieille dame allemande que je croise dans la rue m’arrête par le bras et, dans un jargon assez compréhensible, me chante avec quelques tâtonnements :
« Allons enfants de la Patrie Le jour de gloire est arrivé! » J’en suis resté stupéfait, et ne suis pas encore remis de ma surprise. Oui, le jour de gloire est arrivé, et toutes nos pensées se portent vers la France, vers notre coin du Minervois où nos familles, nos mères, nos femmes, nos enfants, doivent pleurer de bonheur à l’annonce de la bonne nouvelle.
Nous sommes loin mais cette région de la Forêt Noire est certainement un des coins les plus merveilleux de l’Allemagne, et chacun de nos déplacements, chacune de nos patrouilles, nous permettent de découvrir quelque nouveau sujet d’admiration : le lac de Titisee, dont les eaux claires reflètent, avec les sommets couverts de sapins, les villas blanches et les luxueux établissements dispersés sur les rives : le Feldberg, point culminant du massif; à le cime couverte de neige; la vallée de l’Enfer et du Saut du Cerf, dans la gorge chaotique et dantesque où serpente la route de Fribourg à Neustadt, Fribourg enfin qui, malgré ses ruines, garde son aspect de ville cossue, avec ses avenues, ses parcs immenses ses hôtels particuliers.
La population elle-même, qui a beaucoup souffert du régime nazi, ne nous est pas hostile; elle fraterniserait meme assez rapidement, et nous pouvons, sans difficulté nous ravitailler abondamment car la région, très fertile, est très riche en ressources en sol et de l’élevage.
D’autre part, le gibier est abondant, les truites foisonnent dans les rivières, et MOURLAN de Rustiques, PARMENTIER de Trausse se chargent avec beaucoup d’autres du soin de nous approvisionner régulièrement.
Jusqu’à notre aumônier l’abbé COURTESSOLLES, grand pêcheur (un sens propre) qui s’est procuré, on ne sait comment, un matériel complet de pêche à la truite, qui s’en donne à cœur joie. Rendons lui cette justice; il n’a jamais enfreint la loi… (probablement il a été le seul…).
Mais cette vie assez paisible ne doit pas nous affaiblir; l’armistice est signé, c’est vrai, mais les nazis fanatiques ne sont pas tous réduits à l’impuissance; dans la nuit du 13 au 14 mai, plusieurs coups de feu sont tirés à Sankt Peter, sur nos sentinelles sans les atteindre, une patrouille réussit alors à arrêter un chef nazi très dangereux qui avait terrorisé la population et était en fuite depuis l’arrivée des troupes alliées. Quand on me l’amena à mon PC de Sankt Märgen, la nouvelle se répandit comme une trainée de poudre et bientôt la population, sur la place, criait : « à mort !.. à mort !.. comme je sortais, le chef local de la résistance (car elle existait aussi là-bas) me dit, les yeux dans les yeux, mon Capitaine, si faute de preuves, vous devez libérer votre prisonnier, qui a été notre bourreau, je vous supplie de m’indiquer le moment de sa libération. Nous, ses compatriotes, nous nous chargerons de lui.
Mes souvenir sont imprécis à ce sujet, et je ne sais ce qu’il est advenu de ce bonhomme…
Peu de jours après, revenant moi-même en voiture d’une patrouille de reconnaissance à Wildgutach, un individu revêtu de vêtements civils tira dans ma direction un coup de pistolet, avant de disparaitre dans le taillis. Nous ne pûmes le retrouver.
Cependant, le dispositif du Bataillon devait recevoir quelques modifications. Au 15 mai, il était le suivant : Le PC et la 8e Compagnie à Kirchzartern, la 5e Compagnie à Sankt Märgen, avec une section détachée à Sankt Peter, la 6e Compagnie à Titisee et La 7e Compagnie à Todtnau, avec une Section détachée à Schönau.
Mais de France, les jeunes recrues commencent à arriver; c’est alors que, le 1er juin, la 8e Compagnie devient compagnie d’instruction, sous le commandement du Lieutenant JOLY.
Un mois passe ainsi, avec des patrouilles fréquentes; l’instruction des recrues marche à plein rendement, et c’est au moment où nous croyons être définitivement installés dans l’occupation, que l’on commence de parler d’un nouveau déplacement.

Source : GeoBasis