La fin du Minervois

Les 6 et 7 juillet, les Compagnies détachées font mouvement pour se regrouper dans les environs immédiats de Kirchzarten. Le Bataillon part le 7 Juillet et, en 2 jours, à pied, gagne Colmar où il embarque en chemin de fer.

Après un voyage éreintant, aux multiples débours, et un nouveau déplacement à pied de 25 Kms, sous un soleil exténuant, nous atteignons enfin Pirmasens, à 35 Kms de Bitche et où, parait-il, est fixé notre secteur d’occupation. Une Compagnie devant etre détachée à la frontière pour le contrôle de la circulation, c’est la 6° Compagnie qui commence le tour.

Mais le « MINERVOIS » touche à sa fin…….

Depuis quelque temps déjà, des mesures répressives nous ont été imposées. Oh! Les hommes sont toujours derrière nous, les repas à la popote sont toujours pleins d’entrain, BARATI (c’est toujours son nom, malgré qu’il se soit appelé COUMES, JOLY, PIQUEMAL ou meme ALLAUX) oui, BARATI n’a rien perdu de ses talents de danseuse légère et acrobatique, mais un malaise plane, il nous étreint le cœur, et nous en sommes tous angoissés, sans oser nous l’avouer mutuellement.

Déjà, il y a un mois, les grades FFI ont été révisés et certains de nos camarades ont été atteints par cette mesure. SANNUY, LAROQUE, CIOPANI, ont du reprendre leur ancien grade de sous-officier. Et, en examinant cette situation, on en vient à penser ceci : au début de la guerre, quand il a été question d’encadrer nos engagés, on a reconnu ces sous-officiers capable de commander une section, voire même une Compagnie, avec toutes les responsabilités qu’entrainent ces commandements. Ainsi, ces nouveaux officiers sont partie à la tête de leurs hommes, ils ont souffert avec eux, ils ont combattu et, en général se sont montrés dignes de la confiance que nous avions mise en eux. Mais la bataille terminée à l’Armistice signé, sans un remerciement, comme un patron congédie son valet, on leur a repris ces galons qu’ils avaient conquis de haute lutte. N’étaient-ils pas capables de les porter? Pourquoi alors les en avoir jugés dignes au moment du combat, quand ils avaient sur leurs épaules la responsabilité de la vie de leurs hommes? N’était-ce pas alors une véritable folie, un véritable crime? Certains, comme CIOPANI, LAROQUE, nous ont quittés, écœurés, et ont rejoint leur famille pendant que, malgré tous les efforts du Lieutenant-Colonel BOUSQUET, de nouvelles mesures se précipitaient.

Les hommes commençaient à se fâcher au sujet de le nourriture, nettement insuffisante, et les jours d’arrêt pleuvaient, (j’en sais pour ma part quelque chose) sur les Commandants de Compagnie qui tentaient l’impossible pour améliorer l’ordinaire. Aujourd’hui, ces lointains jours d’arrêts me font sourire, car je sais que les hommes de la 5° Compagnie ont toujours pu, d’une façon ou d’une autre, manger à leur faim. (mon équipe de débrouillards avait carte blanche sous mon entière responsabilité) cette satisfaction efface largement la petite atteinte portée à mon amour propre par une punition ridicule.

Mais un jour, le vase de nos rancunes déborda, depuis longtemps déjà, il avait été question d’une mutation du Commandant ALLAUX au 39e RI. Le Lieutenant-Colonel BOUSQUET avait réussi, au prix de multiples efforts, à le conserver au MINERVOIS, mais au cours d’une de ses permissions, la mutation parut, officielle et impérative, le Commandant ALLAUX s’inclina et se prépara au départ.

La mesure était comble: des visages nouveaux apparaissaient, la guerre finie, au Bataillon, les anciens du MINERVOIS ne demandèrent qu’une chose, se faire démobiliser et garder au moins, intact, le souvenir de ce qui avait été le MINERVOIS. Moi-même, je saisis l’occasion; l’enseignement se rappelant, je demandai ma démobilisation, a cette nouvelle, mes hommes furent atterrés, mais surent facilement comprendre, sans aucune explication.

Un jour peu avant mon départ, un soldat vint me remettre un petit paquet et une lettre, j’ouvris le paquet, il contenait le fanion de la 5° Compagnie, ce fanion « MINERVOIS » que j’avais reçu avec émotion des mains du Lieutenant-Colonel BOUSQUET à Rieux Minervois. Ce fanion, symbole de notre unité, malgré tout ce qu’il représenté, je le remis le soir meme à notre chef de Bataillon ALLAUX, au cours d’un repas d’adieu que nous lui offrions; depuis, le Commandant ALLAUX, dans un geste délicat me l’a renvoyé, comprenant que sa place était ici, en Minervois.

Il occupe la place d’honneur dans mon bureau, au-dessous de la photo de notre chef prestigieux, le Général de LATTRE de TASSIGNY, Commandant la 1e Armée Française. Quant à la lettre, je l’ai conservée précieusement, et je la relis toujours avec émotion, elle est ainsi rédigée :

« Mon Capitaine,

Dans quelques jours, vous allez retrouver le cadre dans lequel le groupe Minervois naquit. Au hasard de nos premières étapes, seul l’idéal nous guidait. Dans le feu des premières combats il fallait un signe de ralliement, ce symbole est né dans notre cher Minervois. Un fanion que de pieuses mains ont brodé allait etre désormais notre emblème.

Dans son étoffe fanée, combien de souvenirs! Du maquis en Allemagne, il a été toujours à notre tête, invisibles mais vécues, des étapes de notre vie y sont gravées.

Aujourd’hui après tant de souffrances, mais aussi de récompenses, il revient victorieux dans son pays d’origine.

Nous vous confions ce dépôt et nous espérons que, plus tard, nous saurons nous rallier autour de lui en hommes comme nous nous sommes groupés au moment du danger en tant que combattants », et suivent de nombreuses signatures que je reconnais, le cœur empli de souvenirs : celle de l’Adjudant-Chef CAYROL, comptable expérimenté et combattant à toute épreuve, du Sergent-Chef OURADOU, chef de Section sérieux et aimé de ses hommes, du Sergent BONNET, le chanteur de BIGOU, le comptable, d’IZARD, son petit téléphoniste si dévoué, de CASSAGNAUD, le brave gars de Lespinassière, de GAGO « l’Alphonse » de la roulante, qui me tenait prêt, chaque matin le quart de jus quotidien, du Sergent ARRIBAUD, de SOFFIATI, des deux FRANCES, de LACANS, mon chauffeur si débrouillard, de VOULADE, BOISSON, GALINIER le grand clairon, NONDIER le Joseph jamais pressé, et BOISSELIER, MIGNARD, OBIS, MONTAGNE, et tous qui, de tout cœur, ont tenu à me donner leur pensée au moment de mon départ.

Mes chers camarades, mes braves enfants, mon cœur se serre encore en ce moment, au souvenir des heures vécues ensemble….. Je suis rentré chez moi, à Citou, j’ai repris ma petite classe, mais ma pensée a été bien souvent avec vous. D’autres, comme moi, vous ont bientôt quittés, peu après mon retour, j’ai revu ici, démobilisés, le Capitaine COUMES, le Lieutenant JOLY, et j’ai appris le retour de certains autres.

Enfin, je ne veux pas terminer sans rapporter un autre souvenir, qui m’a prouvé, s’il le fallait encore, toute la sincérité de votre attachement. Pendant mes vacances de Noël (un an après notre départ de Carcassonne) j’ai reçu la lettre suivante, aussi émouvante que celle que je viens de citer :

Aux Armées, le 23/12/45.

« Mon Capitaine,

Si par ce qualificatif vous fûtes notre Chef, nous ne saurions oublier qu’il y a exactement un an, avec vous a notre tête, nous partions l’espoir au cœur, vers l’inconnu, vers la grande aventure qui devait finir, après maintes pérégrinations, au cœur de la Forêt Noire.

L’année 1945 a vu nos souffrances, mais elle nous a donné la plus belle des récompenses que nos âmes de volontaires aient pu souhaiter : avec la Victoire, la certitude (fortement ébranlée depuis) que nos sacrifices ne seraient pas vains.

Dans l’album de nos souvenirs, elle restera la plus riche, car elle a su nous élever au-dessus des bassesses de ce monde, en nous donnant la joie d’être l’avant-garde de la France au marche vers sa grandeur.

En associant votre souvenir à cet anniversaire, nous pensons à celui qui, diminué par la défaite de 1940, a su conserver la foi inébranlable dans les destinées de la Patrie. Dans votre sillage et à votre exemple, nous avons fait don de notre vie pour la plus noble des causes.

De cette grande tragédie, 1945 fut la théâtre; que le rideau qui va se lever bientôt sur 1946 nous découvre un monde où nos désirs les plus chers seront réalisés.

Sur cette note d’espoir, nous vous adressons nos meilleurs vœux pour l’année nouvelle.

Croyez mon Capitaine, en nos indéfectibles sentiments. »

et suivent aussi des signatures :

Cayrol, Bonnet, Bigou, Montagné, Arribaud, Fontanet, Clergue, Maurel, Mignard, Comet, Bigou, Jullien, Page, Izard, Bandinelli, Ribes, Escande, Pueyo, Navarro, Raynaud, Guilhaumon, Gago, Tena etc….

Dans l’ordre chronologique, cette lettre est la dernière trace effective de l’existence du « MINERVOIS ».