Lettre du Sous-Préfet de Limoux au Préfet de l’Aude, le 5 mai 1944.

 

Affaire SEGUY Marinette, Madeleine.

 

En confirmation de mes communications téléphoniques de ce jour, j’ai l’honneur de porter ci-dessous à votre connaissance les indications qu’il m’a été donné de recueillir sur place dans la commune du Bousquet où une opération de police a été effectuée dans la journée d’hier par les troupes allemandes.

Ces dernières comprenant une trentaine d’hommes, quelques officiers et des policiers dont un ou deux portant des habits civils, sont arrivés dans la commune du Bousquet hier, 4 mai, vers 5h00 du matin. Le convoi comprenait 2 camions et 2 ou 3 voitures de tourisme.

Le village a été immédiatement encerclé, cependant que les soldats se présentaient dans chaque maison intimant à tous les hommes l’ordre de les suivre, les femmes étant invitées à ne pas quitter leur demeure.

Tous ces hommes, parmi lesquels figuraient, entre autres, le maire et le présidant de la légion, furent groupés à la sortie du village où ils furent soumis à un interrogatoire tendant à faire reconnaitre l’existence de réfractaires dans le pays et d’une aide à eux apportée.

A noter qu’un certain nombre de ces hommes, en particulier Messieurs BOUSQUET, SEGUY (au village du Bousquet plusieurs familles portent ces 2 noms), furent nommément interpellés, ce qui prouve que des indications précises, sinon complétement exactes, se trouvaient déjà entre les mains des autorités allemandes.

Au cours de l’interrogatoire, plusieurs de ces habitants ont été roués de coups.

Dans le courant de la matinée, les allemands ont procédé à des fouilles dans toutes les maisons du village. C’est alors qu’une jeune fille, Melle SEGUY, âgée de 26 ans, qui connaissait l’existence, chez elle, d’un fusil de chasse irrégulièrement détenu, redoutant de ce fait, les plus graves conséquences à l’encontre de son père qui avait été amené avec les autres hommes, crut devoir se saisir de cette arme et la transporter hors du village après l’avoir dissimulé dans un sac.

Elle fut aperçue par des soldats allemands qui, après quelques avertissements dont il semble qu’elle n’ait pas tenu compte, ouvrirent le feu et l’abattirent.

Les troupes allemandes se retirèrent vers 16h00, sans maintenir aucune arrestation.

Je n’ai recueilli aucun renseignement confirmant que des individus se seraient enfuis sous les coups de feu en abandonnant des fusils de chasse. Ni es explications fournies par Mr le chef de brigade de gendarmerie qui terminait son enquête lorsque j’arrivais au Bousquet, ni les renseignements recueillis tant par Mr le capitaine de gendarmerie, Mr le Commissaire aux renseignements généraux de Limoux qui m’avaient accompagné dans mon déplacement, que par moi-même auprès de aire et des habitants de la commune, ne concordent avec cette affirmation.

La seule tentative de dissimulation, qui a pu etre déformée et grossie par la suite, réside, – j’en ai la conviction – dans l’incident dont la jeune fille a été victime.

En somme, il ne semble pas que cette opération de police ait amené des découvertes prouvant l’existence actuelle de groupes de réfractaires dans cette région.

Il m’a cependant été donné d’apprendre que 3 ou 4 jeunes gens réfractaires du STO ont occupé, il y a quelques temps, un baraquement à peu de distance du village. Ces jeunes gens, qui sont connus, se trouvent actuellement à Axat, munis de pièces régulières signées tant des autorités françaises que des autorités allemandes. Il est possible que ce fait soit à la base des indications qui ont pu parvenir aux autorités allemandes, qui ont spécialement demandé à visiter ce baraquement sous la conduite d’un habitant expressément désigné par l’un des officiers.

Au cours de ma visite, j’ai pu constater l’état d’affolement d’une population qui n’ignore pas les nombreux attentats commis dans le région, et qui se trouve prise, désormais, entre l’appréhension des coups de mains des bandes terroristes et la crainte des représailles éventuelles des autorités allemandes.

Je me suis efforcé de réconforter les habitants en soulignant auprès d’eux la grande préoccupation qu’est la votre de la sécurité de ces coins reculés de nos campagnes, et dont notre voyage de lundi dernier au chef-lieu de l’arrondissement a été une nouvelle preuve.

Je me suis rendu, sous le conduite du maire, auprès des parents de la défunte, et me suis attardé auprès de plusieurs familles de la localité.

 

Etat civil de la victime :

Marinette, Madeleine SEGUY est née le 16 janvier 1916 à Maury (Pyrénées Orientales).
Fille de Baptiste SEGUY, Employé de chemin de fer, et de Cécile, Baptistine, Adeline PONS, Sans profession.

Massacrée le 4 mai 1944 au Bousquet; victime civile.

 

Source : AD11 – AD66