Journal du groupe « Minervois » et du maquis de Citou, par Mr PIQUEMAL René, instituteur à Citou, adjoint au chef militaire du secteur Minervois, ex capitaine au 81e Régiment d’Infanterie.

 

Après avoir pris part, comme Lieutenant de réserve au 143e Régiment d’infanterie, à la guerre 1939-40, blessé grièvement à 2 reprises au bras droit, près de Dunkerque, le 3 juin 1940n changé de camps hôpitaux en cliniques, les autorités allemandes me renvoyèrent dans mes foyers en septembre 1940, comme « grand blessé, inapte à tout service. » il est vrai qu’après un long séjour et une nouvelle intervention chirurgicale dans une clinique de Montpellier, mon bras me refusa tout service pendant 5 ans, une suppuration chronique m’imposant en outre des pansements journaliers. Cette suppuration ne s’arrêta qu’en février 1945, après une nouvelle opération à Strasbourg, au cours de notre campagne d’Alsace avec la 1e armée française.

Rentré définitivement à Citou, et ayant repris mon poste d’instituteur en octobre, je ne tardais pas à découvrir, à ma grande satisfaction que plusieurs de mes compatriotes, loin de se plier passivement aux lois de l’occupation, ne demandaient qu’à agir et lutter contre elle.

Je constitue donc un petit groupe de résistance local qui se donne comme tache de recueillir, héberger, ravitailler et renseigner les réfractaires ou maquisards de passage. Pour faire face à ces frais, nous versons chacun une petite somme, qui sera renouvelée au fur et à mesure des besoins.

Je me mets en rapport avec l’échelon départemental : je connais ainsi le Capitaine RAYNAUD, chef de notre secteur, actuellement maire de Villeneuve Minervois, puis Jean BRINGER, notre regretté « Myriel » qui vient prendre contact avec moi à Citou, et me mettant en rapport avec les organismes départementaux de parachutages.

Le groupe local de Citou comprend alors, en 1943, une trentaine de résistants actifs ; il est incorporé au « Groupe Minervois », englobant les localités du Minervois. RAYNAUD est chef de secteur, le Commandant BOUSQUET de Rieux en est l’organisateur militaire et je suis son adjoint pour la Vallée de l’Argent Double.

A ce titre, je prépare l’organisation défensive de la vallée, avec étude de destructions sur la route de Carcassonne à Saint Amans. Je relève, sur place, les plans de terrains de parachutages à l’Escavalgadou (Citou), à Saint Martin (Villeneuve), à Castanviels (Caunes), ces plans sont adressés à Londres et à Alger, qui nous attribuent un message radiophonique pour chacun de ces terrains. Chaque soir, toutes portés fermées, ceux d’entre nous qui possèdent un poste récepteur se mettent à l’écoute, dans l’attente de ces messages.

Cependant, notre groupe local est sur les dents, réfractaires et maquisards ne cessent d’affluer, nous continuons de les héberger et de les ravitailler. Entre temps au début de 1944, un maquis s’est constitué à Citou, dont nous donnons le commandement à notre regretté camarade VIGNON de Caunes. Et chaque soir, à tour de rôle, nous montons à l’Escavalgadou, où il s’est installé, pour lui apporter le ravitaillement nécessaire.

Par bonheur, nous recevons plusieurs parachutages d’armes (nous n’avions jusqu’à la que nos fusils de chasse et quelques petits pistolets), ) Castanviels, à Saint martin, à Trassanel, et nous pouvons ainsi disposer d’une soixantaine de fusils, une vingtaine de mitraillettes, 5 fusils mitrailleurs et 2 mitrailleuses, le reste, en assez grand nombre (munitions à profusion) est aménagé et étiqueté très en ordre, dans une grotte invisible, tout près de Castanviels. Les groupes locaux du Minervois viennent s’y ravitailler à tour de rôle.

Mais le jeu devient dangereux, et ce perpétuel va et vient doit finir par attirer l’attention. Un jour de mars 1944, j’éprouve une grosse émotion, alors que je travaillais à la mairie, étant secrétaire, une voiture pleine de soldats allemands s’arrête, 2 hommes en armes s’arrêtent à la porte, les autres conduits par un Adjudant révolver au poing m’entourent.

« Je suis flambé » pensai je aussitôt.

« Ici, maquis ? me demanda l’Adjudant

Non, aucune trace de maquis dans notre région, répondis je avec calme

Le maire ?

Il habite Rieussec, un hameau à 4KMS d’ici

Je veux le voir. »

J’envoie donc un jeune garçon à Rieussec avec mission d’en ramener le maire. Pendant ce temps, l’Adjudant m’ayant demandé de lui indiquer le café, je traverse le village entouré de soldats armés. Mes camarades, inquiets, se préparent à la lutte et vont chercher leurs armes, camouflées aux environs.

Au café, le maire étant arrivé (c’est un des nôtres), je lui fais comprendre de me laisser faire. Heureusement, cette incursion chez nous était sans gravité et, profitant d’un moment d’inattention, je m’éclipse une minute et vais rassurer nos amis, déjà armés et rassemblés.

L’Adjudant nous demande simplement s’il y a pas de maquis, d’individus suspects dans les environs, sur ma réponse négative, faite avec le maximum d’indignation, il me demande de le prévenir, par lettre, dès que j’aurai quelque chose à lui signaler. Sans rire, je lui demande alors, pour les cas urgents, de me donner son numéro de téléphone, ce qu’il fait de bonne grâce. Puis toute la troupe repart, rassurée, et je pousse enfin un soupir de soulagement en rejoignant mes camarades, anxieux.

Mais les évènements se précipitent, le maquis, traqué, élit domicile dans une ferme abandonnée au-dessus de Lespinassière. Poursuivi encore, il se dégage, la ferme est brulée, les allemands occupent Lespinassière et, mal renseignés, incendient la foret à un endroit opposé à celui qui sert maintenant de refuge à nos maquisards.

Moi-même, en dehors des heures de classe (pendant lesquelles il m’est arrivé d’etre un peu nerveux), je passe mes moments de liberté chez un cousin, à Rieussec, où j’expédie toujours les affaires communales. Ma femme, courageuse, fait la navette entre Rieussec et Citou, et revient le soir à Citou y dormir, seule avec notre petit Robert, alors âgé de 3 ans seulement. En cas d’alerte, je suis en voyage.

Un jeudi, mon neveu accourt et me rejoint dans un jardin que j’arpentais à Rieussec : « on vient t’arrêter à Citou ».

Je pense aussitôt à ma femme, à mon petit garçon, et je prends ma course jusqu’à Citou, en alertant au passage mes amis. Arrivé chez moi, ma femme, encore tout émue mais non effrayée, me raconte l’histoire : 2 miliciens sont en effet venu me demander, ils avaient le mot de passe et prétendaient vouloir rejoindre le maquis. Malheureusement pour eux, l’un d’eux est très connu dans la région, et ma femme les a renvoyés, après les avoir vertement rabroués. Je décidai alors de passer la nuit chez moi, quelques camarades tinrent à rester aussi, le lendemain matin, nos 2 individus, après avoir attendu toute la nuit embusqués à une centaine de mètres de chez moi, reprenais le chemin du retour. L’un d’eux, en montant à Caunes dans l’autobus qui devait les ramener à Carcassonne dit ceci : «  nous sommes allés à Citou, mais le coup a été manqué. Nous reviendrons. »

Ce sera trop tard, car l’heure de passer à l’action arrive dans peu de temps. Le 19 aout, le Commandant BOUSQUET m’envoie un cycliste. Rieux est attaqué par un gros effectif, déjà on déplore une vingtaine de morts parmi les partisans, il faut y descendre.

En toute hâte, et cette fois ci au grand jour (enfin), nous nous rassemblons devant l’église. Nous nous entassons sur des camionnettes et en route. Mais à caunes, un autre courrier me parvient pendant que le groupe local s’apprête, tout est fini à Rieux, inutile de pousser plus loin. Je reçois l’ordre de défendre l’accès de la route de Saint Amans, à la sortie de Caunes. En quelques minutes, le dispositif prévu est prêt, à flanc de coteaux, les hommes sont postés, les armes automatiques en batterie. La nuit sera calme, mais nous avons à déplorer la mort accidentelle de mon Lieutenant, Louis COMBES de Citou, une balle égarée le tue, blesse grièvement son frère Fernand, qui a dû etre amputé d’une jambe.

Par la montagne, je regroupe tout mon effectif à Castanviels, où viennent me rejoindre des rescapés de Rieux et plusieurs groupes de notre secteur. Nous nous trouvons ainsi 150 environ avec des camions, camionnettes, voitures et motos permettant de nous déplacer avec le maximum de rapidité. La population du petit hameau de Castanviels (une cinquantaine d’habitants à peine) se dépense sans compter et, sous l’habile direction de ma femme, parvient à ravitailler et abriter tout mon monde.

J’avais l’intention de descendre avec ma troupe, en armes, aux obsèques de Louis COMBES, à Citou. Mais je reçu l’ordre de regrouper tout le Minervois à Villeneuve, ce que je fis dans la journée du 20. Pendant que nous traversions la montagne, une colonne allemande traversait Citou, pillant et saccageant. Elle comptait environ 2000 hommes. La maison de notre regretté COMBES ne fut pas épargnée, heureusement, la veuve avait eu le temps d’enlever le drapeau et les bouquets tricolores qui recouvraient le cercueil.la sépulture put donc se faire. Mais au retour, alors qu’un groupe de personnes rejoignait Rieussec par un chemin de traverse, des soldats allemands, retardés sur la route, ouvrirent le feu, à 200 mètres, sur ces silhouettes qu’ils prenaient peut etre pour des maquisards. Les balles sifflaient, « couchez-vous » cria une femme, et à son exemple, grâce à son sang-froid, hommes et femmes, en rampant, purent atteindre un détour de chemin, hors de la vue des tireurs. Par miracle personne n’avait été atteint.

Cependant, à Villeneuve, nous nous trouvions environ 300, sous les ordres du Commandant BOUSQUET. Installé à la mairie, je rédigeai une note, faisant appel aux volontaires pour nous rejoindre, et qui, signée de mon nom, fut affichée dans tous les villages du Minervois. Je recrutai ainsi un grand nombre de jeunes qui se joignirent à nous avec enthousiasme.

Le 21 aout, je me rendis avec une délégation en armes, déposer une gerbe sur la tombe de notre camarade COMBES. Je m’attardai le soir chez moi et ne repartis que vers 5h00 à moto, ayant mon neveu, armé d’une mitraillette, sur le siège arrière.

A un carrefour (des Tuileries), à 500 mètres environ avant Villeneuve, mon camarade RAYNAUD m’arrête, une colonne allemande, dont on ignore l’importance, est signalée comme venant de Carcassonne et se dirigeant vers nous. Le dispositif est vite en place, une cinquantaine d’hommes environ, avec un fusil mitrailleur, à chacun des 2 carrefours des routes conduisant à Villeneuve, avec mission de se replier sur le village où le gros de la troupe est sur la défensive. Je me portai moi-même au carrefour des Tuileries. L’attente ne fut pas longue, vers 118h30, des rafales éloignées nous apprirent que nos hommes du premier carrefour étaient au contact. (Je sus plus tard que le convoi n’avait pas stoppé.) 2 minutes après, une motocyclette puis une voiture passèrent devant nous, se dirigeant vers Caunes. Enfin, un premier camion surchargé d’hommes (certains accrochés aux ridelles à l’extérieur) apparut. C’était le moment, je criai « Feu ». Mon tireur, qui avait reçu sa consigne lâcha une première rafale de fusil mitrailleur, atteint sans doute à un endroit vital, le premier camion fut stoppé net et le convoi immédiatement immobilisé derrière lui. Sous notre feu nourri et efficace, les soldats ennemis sautèrent dans les fossés et une vive fusillade s’engagea. Bien placés, mes hommes assuraient leur vie. Cela dura 1h30 environ. Enfin, à la tombée de la nuit, ne distinguant plus rien, je donnai l’ordre de repli. A travers vignes et champs, nous rentrâmes à Villeneuve. Mais, voulant aller aux renseignements, je revins moi-même sur le lieu du combat, aux fanaux circulaient des ordres s’entendaient de ci, de là, le convoi était toujours immobilisé. Avec des précautions infinies, rampant de souche en souche, je me rapprochai et réussi enfin à m’allonger dans le fossé longeant la route de Caunes, où un grand brouhaha se produisait qui dura un temps infini. Enfin vers 3h00, le convoi s’ébranla et défila à 2 mètres à peine de moi. Je comptai ainsi très distinctement 32 camions, ce qui me fait supposer que l’effectif de la colonne, les camions contenant chacun au moins 50 hommes, était au minimum de 1500. (Et nous étions 50 pour les stopper.) Au passage, j’entendis des hurlements et des plaintes sortir de 2 camions, ce qui prouva que notre tir avait été efficace. De notre côté, pas un seul blessé.

Au petit jour, je rejoignis le Commandant BOUSQUET, auquel je rendis compte des résultats obtenus, les armes, les masques à gaz abandonnés foisonnaient au bord de la route. Les munitions pouvaient se ramasser à la pelle.

Dans la journée du 23, nous rejoignîmes Castanviels. Le 24, dans l’après-midi, on me signale encore qu’une colonne allemande d’une cinquantaine d’hommes (des trainards probablement) a traversé Citou, se dirigeant vers Lespinassière. Je prends avec moi un camion chargé d’hommes, une voiture, et me lance à la poursuite de l’ennemi. Lespinassière est traversé. Arrivés à Salettes, on me signale que la colonne est passée depuis 5 minutes à peine. Ma moto refusant de se mettre en marche, je saute sur le marchepied de la voiture et en avant. Le camion bous suit à 50 mètres, la mitrailleuse en batterie sur le toit de la cabine. A un détour de la route, nous apercevons en fin nos fuyards arrêtés, ils ouvrent le feu sur nous et se dispersent dans les prairies et les bois. Nous nous élançons, et dès les premières minutes notre camarade VIGNON est tué à bout portant, c’était, le chef du maquis de Citou. La rage au cœur, nous n’hésitons plus, après une heure de combat environ, nous n’avons plus rien devant nous, 3 soldats allemands blessés sont allongés sur le talus de la route, 17 prisonniers ont les mains en l’air à côté d’eux, et j’eus toutes les peines du monde à interdire à mes hommes, exaspérés par la mort de VIGNON, de les abattre sur place.

Nous rejoignîmes alors Castanviels où les prisonniers, gardés à vue, s’empressèrent aux « travaux du ménage », avant d’etre dirigés sur Carcassonne. Ce fut là notre dernière action, toute la région ayant été libérée.

Mais nous ne considérions pas notre tâche comme encore terminée, le Commandant BOUSQUET me demanda de former une compagnie de volontaires destinée à etre incorporée à la 1e armée. J’acceptai et installai mon PC au château de Septsérous, commune de Badens. En peu de jours les 95% de mes anciens partisans se joignirent à moi et, au début de septembre, j’ai formé une compagnie de 200 hommes engagés volontaires pour la durée de la guerre. Nous ne devions plus nous séparer. Mon unité devient le 12 septembre, 1e compagnie du Bataillon Minervois, formé uniquement d’Audois, et auquel le Commandant BOUSQUET (alors promu Lieutenant-Colonel) donna le nom de notre groupe de résistance. Ce bataillon fut enfin intégré au 81e Régiment d’Infanterie (ma compagnie devint 5e compagnie du 81) qui prit part, avec la 1e armée française, aux campagnes d’Alsace et de la Foret Noire, et resta en occupation jusqu’en 1945.

Citou, le 10/11/1947

 

Source : AD11 89W185