LA TRAGIQUE ODYSSÉE DES MAQUISARDS DE LA GROTTE DE TRASSANEL.
Attaqué depuis le 5 Août par des troupes supérieures en nombre, accompagnées de chars d’assaut, les hommes du maquis Armagnac se repliaient par étapes successives sur le maquis de Citou.
C’était le 7 au soir, depuis trois jours ; ils marchaient, chargés du matériel indispensable, mal chaussés, l’estomac creux. Ils firent halte dans la grotte de Trassanel et là, exténués, après un trop frugal repas, ils s’endormirent … 9 de leurs camarades étaient restés en arrière-garde, à l’étape précédente. Ils les rejoindraient le lendemain matin.
AU PETIT JOUR. – A l’heure fixée pour le départ, ils n’avaient pas rejoint. L’attente commença, les heures passaient interminables … Les estafettes envoyées en reconnaissance ne rentraient pas non plus … Midi … toujours rien. Soudain un soldat fait irruption dans la grotte. C’est un gars de la compagnie russe qui accompagnait le groupe. Tout le monde se précipite avide de nouvelles des camarades. Un interprète intervient et transmet la mauvaise nouvelle : l’arrière-garde est tombée dans une embuscade. Il ne peut pas être question de leur porter secours, les boches sont 10 fois supérieurs en nombre et surtout en matériel.
La rage au cœur, il faut se résigner à abandonner ceux qui peut-être ne sont plus que des cadavres. Malgré la fatigue, malgré les chaussures éculées, malgré l’estomac vide, les soldats d’Armagnac repartent. Mais trahis par un des leurs, ils étaient attendus eux aussi. A peine les couverts boisés dépassés, des coups de feu claquent de tous les côtés. Des hauteurs dominant la vallée, les balles et les grenades pleuvent. La position de combat est vite prise, mais 15 morts couvrent déjà le terrain. La bataille est trop inégale, l’impasse est sans issue. Après une héroïque défense au cours de laquelle disparaissent tour-à-tour CARUESCO, RIQUET, ROQUEFORT et d’autres, le chef n’a qu’une pensée : arrêter le carnage : il faut se rendre ! Mais les brutes teutonnes ont une autre conception de la guerre que nous. D’un coup de révolver dans la nuque, ils achèvent les blessés incapables de se déplacer ! Tous les autres sont ramenés à cette grotte qu’ils ont quittée quelques instants auparavant ! 17 blessés, parmi lesquels le chef Armagnac sont laissés sur place.
Les hommes valides chargés du matériel sont emmenés vers Trassanel. Long calvaire pour ces vaillants soldats qui savent maintenant de quelle manière ils seront traités par les ignobles soudards nazis.
A peine ont-ils parcouru quelques centaines de mètres, que des coups de feu claquent, apportant aux blessés le coup de grâce; tout le monde comprend et les larmes aux yeux, la tête basse, ils se préparent eux aussi à mourir en Français. Ils savent que les boches ne leur laisseront pas la vie sauve. Personne ne doit dénoncer leurs crimes atroces.
EN DIRECTION De VILLENEUVE.
Après avoir rapidement bu un quart d’eau à une fontaine de Trassanel, la colonne prend la direction de VILLENEUVE. Trois otages, parmi lesquels se trouve un traître (actuellement l’hôte de la prison de Carcassonne) sont laissés à Trassanel.
Les vingt-trois prisonniers continuent leur chemin, résignés à leur sort, conscients d’avoir fait leur devoir.
Soudain un ordre bref : « Halte ». Les boches se concertent. Les gars d’Armagnac sont rassemblés au pied d’un petit mur bordant une vigne. Maintenant c’est fini pour vous leur dit un jeune officier allemand, faites votre dernière prière ! Aussitôt un fusil mitrailleur et des mitraillettes ouvrent le feu. 6 hommes ont réussi à sauter le mur et à s’enfuir dans les vignes. Les boches fous de rage, s’acharnent sur les 17 corps qui sont tombés dès les premières rafales, les balles explosives font éclater les chairs, le sang gicle partout. Puis, après un coup de révolver dans la nuque à chacun, les infâmes bourreaux s’en vont.
LA NUIT TOMBE SUR CET HORRIBLE TABLEAU.
Soudain, vision hallucinante, un corps se redresse, retombe, se redresse encore, parvient à se dégager, et sur les genoux gagne la vigne toute proche et là, s’affaisse …
Des paysans, le lendemain matin trouvèrent ce corps sans apparence de vie couvert de sang. Transporté dans une cabane toute proche, des soins lui furent donnés. Petit à petit le blessé revint à la vie. Opéré sur place et maintenant presque remis, il est venu lui-même nous donner des précisions sur sa tragique mais miraculeuse aventure :
« A la première rafale, bien qu’indemne j’ai été plaqué au sol. Les boches continuèrent à tirer. Je ressentis un choc violent au bras droit, une balle explosive, me l’avait complètement déchiqueté. Je ne perdis pas connaissance cependant, et les coups de feu cessant, je pensais pouvoir me tirer ainsi. C’est alors que l’officier teuton passa dans le groupe de ces corps sans vie, tirant à chacun une balle dans la nuque. Mon tour arrivait, j’entendais les sèches détonations du revolver. Je sentis le froid du canon sur ma nuque, je fermais les yeux, résigné, je sentis très nettement la main appuyant sur la gâchette; un grand choc, puis plus rien. Le froid, la pluie me ramenèrent tout doucement à la vie que je croyais avoir perdue à jamais ne m’avait pas abandonné. Mon bras me faisait horriblement souffrir, j’essayais en vain de me soulever, mais par trois fois je perdais connaissance. Enfin, je pus me dégager et perdant abondamment mon sang, torturé par la fièvre, souffrant le martyr, je réussis à gagner la vigne tout proche de là, sous un cep, je perdis à nouveau connaissance. Hissé sous les coudes, j’essayai d’atteindre un raisin vert pour apaiser la soif que me donnait la fièvre. J’y parvins, mais l’effort que j’avais fait était trop grand et je m’affaissais une fois de plus. Relevé après plusieurs heures d’atroces souffrances, je fus soigné dans une cabane toute proche, puis opéré : la balle avait pénétré dans la nuque pour ressortir sous l’œil sans toutefois toucher d’organes vitaux « .
Pendant ce temps, près de la grotte tragique, Antoine ARMAGNAC, doucement se mourait, les yeux tournés vers le ciel de son Minervois bien-aimé, au milieu de ses camarades de combat.
Ce jour-là, TRASSANEL inscrivit 42 noms au martyrologue de la Libération.
42 deux braves morts pour leur patrie, leur liberté, morts pour sauver la France de la honteuse tutelle hitlérienne. Leur sacrifice ne fut pas vain, mais combien douloureux fut leur long supplice et quel souvenir horrible pour le sergent BOUISSET le « Fusillé Vivant « .
J. GUILLAUME.
Source : AD11 89W185