LE MINERVOIS DANS LA CLANDESTINITÉ.
Les Languedociens connaissent tous cette région du Minervois, aux vignobles ensoleillés, s’étalant depuis le vallon de l’Aude jusqu’aux contreforts de la Montagne Noire, et dont les vins capiteux ont une renommée qui n’est plus à établir. Au milieu de ces étendues verdoyantes ou rougeâtres suivant les saisons, se dressent de nombreux bourgs ou villages dont les noms à la consonnance méridionale, semblent chanter sur les lèvres : Rieux, Peyriac, La Redorte, Homps, Caunes, Villeneuve, Trausse etc….Et le terroir du Minervois s’est étendu aux départements voisins, il a, en passant par Pépieux, atteint l’Hérault et assimilé Olonzac ; sournoisement, il s’est meme insinué dans les vallées de la Montagne Noire, gagnant d’un côté Citou, Lespinassière et atteignant le Tarn, et de l’autre s’adjoignant le Vallée de la Clamoux, avec Trassanel, Cabrespine et jusqu’au Cabardès.
Dès 1942, pendant la période d’occupation Allemande, et sous les yeux même de l’envahisseur, cette région forme un noyau de résistance des mieux organisés. Sous l’habile impulsion de notre chef départemental regretté, Jean BRINGER (alias MYRIEL), de ses adjoints, COUMES, GEORGES, DAVID, et sous la direction technique du Chef de Bataillon BOUSQUET de Rieux, une véritable organisation militaire fut mise sur pied. Honneur à ces pionniers de la résistance.
En voiture, mais le plus souvent à bicyclette ou à pied, déjouant les ruses de la gestapo, les pièges de la milice, ils ont parcouru le département en tous sens, visitant les maquis les plus éloignés, donnant leurs ordres aux chefs, exhortant les hommes, apportant à tous un exemple vivant de patriotisme et de foi dans la tâche entreprise.
Et je suis obligé ici, par souci de la vérité, et uniquement pour cela, de retracer de quelle manière j’ai pu prendre contact avec ces hommes, et de révéler ce qui fut l’origine même du MINERVOIS.
J’étais alors instituteur à Citou, après avoir été rapatrié par les autorités allemandes comme « inapte à tout service » à la suite de blessures reçues à Dunkerque en juin 1940. Au moment de l’occupation, des réfractaires s’arrêtaient parfois chez nous, et nous les recevions à bras ouverts. Sans savoir qu’une organisation départementale existait déjà, nous avions soigneusement conservé nos fusils de chasse, et des munitions prêts à toute éventualité.
Un jour de février 1942, mon camarade RAYNAUD (de Villeneuve), Capitaine RAYNAUD, vient me voir et me présente MYRIEL, chef départemental. Au nom de mes camarades de l’endroit, j’adhère avec enthousiasme à leur mouvement. Peu de jours après le Commandant BOUSQUET (de Rieux) qui a de bonnes attaches familiales à Citou, prend contact avec moi. Il a été 13 ans avant, mon instructeur à l’école militaire de St Maixent, et nous mettons ensemble un plan d’organisation et de défense du secteur.
Il me demande de relever les plans de terrains de parachutages; de prévenir la constitution d’un dépôt d’armes destiné à ravitailler toute la région, et de regrouper, en un seul bloc, les diverses sections locales disséminées dans notre coin. J’accepte immédiatement notre tâche et donne d’emblée à mon groupe ce nom tout naturel, mais dont la renommée va gagner de proche en proche. « Groupe du Minervois ».
Les réfractaires, soigneusement épluchés, affluent. Ils sont dirigés par le Capitaine RAYNAUD sur différents points et bientôt, les maquis de Trassanel, de Villeneuve, de Citou, convenablement ravitaillés, peuvent vivre par eux-mêmes et s’entrainer à leur tâche future.
Retenons et saluons d’ores et déjà, au passage, les noms des chefs de maquis, VIGNON et ARMAGNAC, tombés glorieusement au cours des combats de la libération dont je vais d’ailleurs parler.
Mais ces maquis n’étaient pas notre seule force; dans chaque village, des groupes de résistance se créaient autour de responsables enthousiastes.
À la veille des combats de la Libération, les effectifs de ces divers groupes (en dehors des maquis constitués) étaient les suivants :
Olonzac |
(Capitaine GERBAUD) |
15 |
Escales |
(FARAMOND) |
10 |
Laure |
(NINON) |
10 |
Pépieux |
(REY) |
15 |
Peyriac |
(SARRATO) |
40 |
Rieux |
(BARTHES et SAURY) |
47 |
La Redorte |
(LIABOT) |
19 |
Citou |
(COMBES et SANTOUL) |
22 |
Siran |
(AVERSENC) |
10 |
Caunes |
(BAYLET) |
30 |
Soit un total de 300 Hommes si on y englobe les maquisards du secteur.
D’autres groupes plus éloignés (mon camarade AMALRIC à Bize avec 30 hommes, mon beau-frère, dans le Cabardès) entrèrent aussi en contact avec nous et purent être ravitaillés en armes.
Des réunions clandestines se tenaient, de jour ou de nuit dans quelque maison sûre, et une liaison étroite était assurée dans tout notre réseau.
Entre temps, j’avais pu relever, à la demande CHARPENTIER, responsable départemental pour les parachutages, les plans de plusieurs terrains : l’un à Citou, l’autre à Castanviels (hameau de Caunes), un troisième à Villeneuve. Ils furent signalés à Londres et à Alger, et un message fut attribué à chacun d’eux. Chaque soir, nombreux étaient ceux qui, l’oreille sur le cadran de leur poste de radio fonctionnant en sourdine, attendaient fiévreusement l’annonce d’un parachutage, par l’énoncé d’une phrase fatidique.
Combien de nuits avons-nous passées, souvent en vain, à notre poste sur ces terrains, malgré la pluie, malgré le vent, malgré le froid, malgré la surveillance ennemie, regagnant au petit jour nos domiciles, afin de reprendre notre travail avec exactitude, comme après une nuit de bon sommeil.
Cependant, notre constance fut parfois récompensée : nous pûmes recevoir; en avril 1944, deux parachutages, l’un à Trassanel, l’autre à Villeneuve; ils nous permirent d’avoir un armement plus efficace que nos fusils de chasse.
Je réussis même à Castanviels, avec une signalisation de fortune constituée à la hâte par des feux de bois, à faire « lâcher » des armes et des munitions destinées à un petit maquis du service de renseignements anglais situé à proximité. J’avais en effet capté le message radio l’annonçant « JACQUELINE AIME LE CARTHAGENE », mais un de mes observateurs me signala que personne ne se trouvait sur le terrain de réception. Il était temps, car les avions tournaient déjà dans le ciel, attendant les signaux (que je connaissais heureusement). Plutôt que de les laisser repartir chargés à bloc, j’ai fait le nécessaire pour les… soulager. Cela m’a d’ailleurs valu, le lendemain, une discussion assez orageuse avec le chef du Maquis S.R. que je remis en place, et avec qui nous partageâmes le butin.
Tous ces parachutages nous permirent de constituer des dépôts d’armes et d’explosifs à Trassanel, à Rieux, à Citou, et surtout à Castanviels, où toute la population est à féliciter chaleureusement pour sa belle conduite pendant cette période. Les groupes locaux de tout le Minervois vinrent se ravitailler à nos dépôts, et les équipes de destruction se mirent à l’ouvrage sur les voies ferrées, sur les ponts, sur les usines.
Ainsi au début de juin 1944, la voie ferrée de Toulouse à Narbonne fut endommagée : 6 pylônes ont été détruits, et la circulation ferroviaire interrompue.
C’est à l’époque que fut changée pour la première fois à Lespinassière, où nous n’avions que de faibles relations, cette « Chanson de la résistance » que je venais de composer à l’intention de nos maquis, et qu’on devait peu à peu chanter dans tous les groupes. Combien de fois, depuis, à Carcassonne, en Alsace, en Allemagne, l’avons-nous reprise en chœur, à l’issue d’une réunion ou d’un repas!

Cependant, l’heure de passer à l’action approchait. Nos maquis étaient bien ravitaillés, et nous étions contents de tous. J’avais à Citou, pour assurer certains transports, un camion (gazobois évidemment) que nous avions baptisé « l’ouragan » malgré ses pannes fréquentes, une voiture, et une moto qui me servait à des déplacements d’isolés et à des missions de liaison. Nous étions alors au milieu de juillet 1944, renseignés sans doutes, les allemands font de fréquentes patrouilles dans notre secteur. Un détachement de la « Feldkommandantur » vient meme à Citou, et me surprend à la mairie. Je m’attendais au pire, mais ce n’est qu’une fausse alerte, l’officier me demande des renseignements sur les personnes étrangères traversant la commune :
« quelqu’un les héberge-t-il?
n’a-t-on pas de maquis signalé dans la région? »
Évidemment, je le rassure et, ayant obtenu son numéro de téléphone, je lui promets de le renseigner immédiatement à la moindre nouvelle!
Cependant mon camarade GERBAUD d’Olonzac n’a pas la même chance il est arrêté le 17 juillet, incarcéré à la prison de Boutte-Gach à Carcassonne, et n’en sortira qu’à la veille de la Libération.
Le 22 juillet (22 avril erreur de date), un fort détachement cerne le village de Fournes, dans le Cabardès, principal ravitailleur du maquis de Trassanel. Le maire Louis COMBRIE est arrêté, ainsi que le jeune René BUSQUE, 18 ans fils du chef local de la résistance. Ils seront amenés tous deux en déportation et n’en reviendront pas.
Le même jour, notre camarade AGNEL, âgé de près de 60 ans est arrêté à Trassanel et interrogé sur le maquis; que l’allemand devine tout proche, ce qui prouve qu’un traite a donné certaines précisions. AGNEL résiste aux coups et se tait. On l’amène à Series, petit hameau de Fournes, où on le confronte avec d’autres camarades, rien ne sort de cette épreuve. On oblige alors, en le frappant sauvagement, sous les yeux de sa mère horrifiée, un habitant du hameau, Théophile RIEUSSEC, à nouer une corde à la branche maîtresse d’un gros arbre, dans le hameau meme. Tremblant presque fou, RIEUSSEC passa le nœud coulant autour du cou d’AGNEL, que l’on fait monter sur une caisse. La caisse est renversée, mais le poids du corps fait rompre la corde. AGNEL se relève et crie, à la face de ses bourreaux :
« Assassins ! je ne suis pas encore mort ! »
Une rafale de mitraillette fermera ces lèvres qui n’ont pas parlé et arrêtera ce noble cœur héroïque. Par son sacrifice, par son stoïcisme, digne des héros de légende, AGNEL s’est élevé au niveau des martyrs les plus purs.
Théophile RIEUSSEC, le visage ensanglanté, est amené par ses bourreaux, envoyé en déportation. Il n’en reviendra que libéré par les alliés.
Le 8 août, alors que je me trouve avec mon groupe de Citou dans le Maquis (car j’ai échappé par 2 fois par miracle à l’arrestation par des Miliciens), des rafales lointaines, des explosions sourdes se font entendre. J’essaie de m’informer : ce n’est qu’un très tard, dans la soirée, que nous apprenons que le maquis de Trassanel, cerné par un fort contingent de troupes allemandes, a été totalement anéanti. Quelques très rares rescapés qui rejoignent le lendemain le Maquis de Citou, peuvent me fournir certains détails; la trahison du maquis est flagrante; la grotte où les maquisards avaient aménagé leur cantonnement a été cernée en un clin d’œil, et nos volontaires abattus au moment où ils tentaient une sortie désespérée. Quelques autres, qui se trouvaient en dehors de la grotte ont été capturés et conduits avec force brutalités, sur la petite route qui descend de Trassanel à Villeneuve, et fusillés à l’endroit meme où s’élève aujourd’hui le monument qui a été érigé à leur mémoire. Cependant, l’un d’entre eux, le Roubaisien Henri TAHON, a miraculeusement échappé à la mort ; atteint par une rafale à la cuisse, il s’est abattu et a tenté de se relever. Le « Feldwebel » commandant le peloton s’est alors approché de lui et lui a donné le coup de grâce en pleine tête. La nuit arrive, la fraicheur ranime le blessé, fuyant le lieu de son supplice il se traîne, se traîne encore, sans but, perdant son sang en abondance mais luttant farouchement contre la mort qu’il sent si proche. Au petit jour, les habitants de Trassanel, venant relever les fusillés, s’aperçoivent de l’absence de TAHON, mais relevant des traces de sang. Suivant cette piste toute fraîche, ils arrivent ainsi aux premières maisons de Villeneuve où ils apprennent que TAHON à bout de forces, a été découvert depuis quelques minutes à peine par deux jeunes filles du village. Transporté dans une maison amie, il y reçoit les premiers soins du Docteur JOURTAU. du maquis de Citou. Pendant des semaines, on le dispute à la mort, et il en échappe! J’aurais d’ailleurs l’occasion de reparler de lui, car orphelin et sans aucune attache familiale (ses parents ont été tués au cours d’un bombardement à Roubaix) il fut adopté par le « MINERVOIS ».
Le 12 août, un train de ravitaillement est attaqué en gare d’Azille : cela nous permet de récupérer une importante quantité de chaussures, dont nous avons grand besoin, et de boites de conserves.
Cependant, peu après, des colonnes allemandes sont signalées comme devant traverser notre secteur, et ce fut de tous les points la ruée :
Le 19 août, à La Redorte, 63 volontaires attaquent une colonne allemande, font 8 prisonniers et récupèrent du matériel.
A Peyriac, presque en même temps, 35 hommes attaquent une autre colonne et font 6 tués.
Mais à Rieux, (toujours le 19 août), les Allemands ont cerné et attaqué la localité. Les nôtres étaient 48 à après un combat de rue des plus acharnés, 21 de nos camarades tombent glorieusement en combattant, 3 sont blessés. L’ennemi emporte ses morts et ses blessés qu’on ne peut dénombrer, mais abandonne sur place du matériel et de l’armement.
Le Maquis de Citou et les volontaires locaux venant à la rescousse, ils sont arrêtés à Caunes où notre ami Louis COMBES, Chef du service local, trouve la mort. Son frère Fernand est grièvement blessé.
Un motocycliste arrive ; à Rieux, tout est terminé, mais la colonne allemande se dirige de notre côté. Immédiatement je prends les dispositions nécessaires : deux « bouchons » armées de fusils mitrailleurs et de mitrailleuses Hotchkiss se placent à des endroits favorables, à la sortie de Caunes sur la route de St Pons. Hélas notre attente est vaine : la colonne ennemie s’est détournée sur Olonzac.
Le 20 août, un train de ravitaillement allemand, attaqué à Puichéric, nous permet de nous emparer d’un stock de boîtes de conserves alimentaires, qui sont distribuées à la population des villages environnants.
Le 21 août à Citou, on devait procéder à la sépulture de notre ami Louis COMBES. Nous étions alors nous-mêmes à Villeneuve Rentrant le soir à Citou, j’apprends qu’une demie heure avant l’enterrement, une colonne allemande a traversé le village, pillant tout ce qui peut être profitable : bicyclettes, charriots, bijoux, alcool…
Les obsèques peuvent cependant se dérouler mais après la cérémonie, une arrière garde allemande ouvre le feu sur un groupe d’hommes et de femmes qui, par un chemin de traverse rejoignent le hameau de Rieussec. Par miracle personne n’est atteint !
Le 22 août, à Villeneuve, en fin de journée, nous apprenons qu’une colonne de camions, lourdement chargée de soldats, a quitté Carcassonne, se dirigeant vers Caunes.
Mais ce jour-là, nous sommes 227 rassemblés à Villeneuve, avec le Commandant BOUSQUET. Pendant que le gros de nos forces va assurer la défense rapprochée du village en cas d’attaque, deux petits contingents vont surveiller deux carrefours, de part et d’autre de Villeneuve, sur la route nationale qui passe à environ 2,5 kms du village. Le Commandant BOUSQUET a donné ses consignes; nous sommes prêts, et notre chef m’a confié le soin de donner le signal de l’attaque. Je me trouve avec une poignée de volontaires, sur un petit mamelon boisé, à 150 mètres environ au nord du carrefour dit « Tuilerie de Justi ».
À ma droite, tout près de moi, un sous-officier, VAUCHER, est en position de tir avec son fusil mitrailleur. Nous entendons très distinctement le sourd grondement des moteurs de la colonne qui avance. L‘heure « H » est proche ! La tête de la colonne doit maintenant avoir dépassé le premier carrefour, mais nos camarades de là-bas n’ont pas réagi. Ils attendent mon signal pour prendre l’ennemi à revers. Enfin les voilà! Une voiture grise débouche au carrefour, d’une pression de main, je calme VAUCHER, prêt à tirer. Et voilà le premier camion, des hommes en armes sur les ailes, sur la cabine, FEU ! La première rafale éclate, suivie de nombreux coups de fusil, VAUCHER a tiré en plein dans le mille! Le camion, atteint au moteur, stoppe et immobilise la caravane. La fusillade, à l’autre carrefour est maintenant intense; les fridolins courent de toutes parts dans le plus grand désarroi, et VAUCHER, en pleine action, les poursuit dans leur fuite désordonnée. La trace de ses rafales se voit encore à hauteur d’homme sur la façade de la tuilerie.
Mais la nuit arrive! Des ordres gutturaux se croisent sur la route et je devine déjà, à certaines ombres, que la panique a pris fin et que nous sommes menacés d’encerclement. A la faveur de la nuit nous nous replions à travers vignes, des balles traçantes sifflent maintenant à nos oreilles ; trop tard, la nuit est venue et, le regroupement opéré : pas de manquant. Je confie notre groupe à VAUCHER qui va rejoindre Villeneuve. Pour moi, je voudrais bien rendre compte au Commandant BOUSQUET des résultats obtenus. Dans cette intention, je reviens vers la route, non pas en direction du carrefour où l’engagement a eu lieu, mais à 200 mètres environ, en direction de Caunes.
Un tas de gravier est là, au bord du fossé; je réussis à l’atteindre et, à plat ventre, j’attends…le brouhaha reprend chez l’ennemi qui s’affaire autour des camions ; j’entends des cris, des ordres, des bruits de métal… les heures passent, bien lentement, et ma couche n’est pas des plus moelleuses. À 3h00 du matin seulement, les moteurs tournent, la colonne se remet en route et je peux la voir défiler, à quelques mètres de moi, tous phares éteints : en tête un camion remorque celui que nous avons endommagé ; dans les deux qui suivent, j’entends des cris, des plaintes, les victimes sont nombreuses. Enfin la colonne passe; j’ai pu compter avec précision 32 camions, tous chargés de troupes : le morceau était bien gros, en effet, pour la cinquantaine de volontaires qui ont pris part à l’embuscade entre les deux carrefours. Au petit jour, transi mais heureux, je rentre à Villeneuve où l’on commençait à s’inquiéter de mon absence prolongée. Une tasse de café brûlant avalée à la popote et, avec le Commandant BOUSQUET, nous revenons sur les lieux de l’engagement : quel gâchis des casques, des musettes, des capotes, des fusils meme jonchent le sol et, au carrefour, VAUCHER me prouve l’efficacité de son tir en me montrant à plusieurs endroits des mares de sang ; mais toutes les victimes ont été emportées. Nous rentrons à Villeneuve.
Le 23 août, un fort détachement allemand est attaqué à La Redorte par 72 résistants. Outre la capture de 26 prisonniers, 16 civils que les allemands amenaient comme otages purent être libérés. Vous devinez leur joie ! ! !
Le 24 août à Rieux, une nouvelle attaque permet de récupérer du matériel, mais il y a 2 tués et 1 blessé de notre côté. Le meme jour, notre groupe se reforme à Rieussec, hameau de Citou, nouvelle alerte dans l’après-midi : une petite colonne allemande (une compagnie environ) a traversé Citou en direction de St Pons. Nous nous entassons sur le camion et dans deux voitures. Sur la cabine de l’Ouragan 2 mitrailleuses sont mises en batterie et confiées à deux russes incorporées de force dans l’armée allemande et que nous avons capturés.
Je prends les devants sur la moto, pour aller aux renseignements à Lespinassière, on me signale que la colonne est passée depuis plus d’une heure. Je continue vers le col, à la limite du Tarn.
Là ma moto devient rétive, un fermier me renseigne : ceux que nous poursuivons sont à quelques centaines de mètres à peine, nos voitures arrivent, je fais rapprocher les véhicules et en avant! A un virage, nous tombons sur les allemands, arrêtés. A notre vue, ils ouvrent le feu, sur nous, mes 2 russes sautent du camion, et mitrailleuse sous le bras se lancent à leur poursuite. Ne pouvant me faire comprendre, je leur fais signe de me suivre, je connais le terrain et, en quelques minutes, nous atteignons un petit mamelon d’où nous apercevons les fuyards, cherchant à gagner un hameau tout proche. La fusillade reprend mais dure peu, 17 soldats ennemis les bras en l’air, nous supplier de les épargner, 3 d’entre eux sont blessés et 6 cadavres restent sur le terrain. On a tant raconté d’histoires sur les « terroristes » que nos prisonniers croient que nous allons les mettre à mort. Ils ne se tiennent plus de joie quand mon interprète GOGEL, un alsacien, les détrompe. Cependant je comprends a leur mine que GOGEL leur en dit de toutes les couleurs.
Nous rejoignons la route et ramassons notre butin : sacoches, pistolets, fusils, grenades, etc… Mais hélas sur un brancard improvisé, nous avons la douleur de retrouver près du camion notre camarade VIGNON, chef du maquis de Citou, tué au cours de combat. Et ce combat fut le dernier de la clandestinité. Partout l’ennemi avait été attaqué par des forces toujours dérisoires, mais que galvanisait la soif de liberté et de vengeance.
Honneur à ceux qui sont tombés crânement les armes à la main, au cours de ces combats acharnés. Gloire à leurs noms! Les GARCIA, les FERRIÉ, les VIGNON, les COMBES, et tous les autres, dont la liste est hélas trop longue, ont ouvert dans notre histoire une page des plus glorieuses et le groupe « MINERVOIS » a su montrer que pour la liberté, des Français savaient combattre et savaient mourir
Enfin, notre région fut définitivement libérée et l’ennemi en fuite laissa entre nos mains ses blessés et de nombreux prisonniers que nous regroupâmes à Villeneuve avant de les diriger sur Carcassonne. En meme temps, l’épuration intérieure avait commencé et ceux qui autrefois nous avaient combattus, furent obligé de se terrer, et souvent même de s’expatrier.
Mais notre tâche à nous n’était pas finie : la France n’était pas encore complètement libérée des hordes nazies : il fallait les poursuivre, bouter l’oppresseur au-delà de nos frontières, et l’écraser définitivement chez lui.
C’est ce que m’expliqua le Commandant BOUSQUET lorsqu’il me demanda de former une Compagnie régulière, j’acceptai cette mission et, avant meme sa formation, je donnais à cette nouvelle unité un nom qui nous était devenu cher :
Ce fut la compagnie du « MINERVOIS ».
Par voie d’affiches et, mieux encore, au cours de nos conversations avec nos maquisards et nos résistants, le recrutement de cette Compagnie commença. J’avais déjà à mes côtés plusieurs de mes élèves, présents au maquis : mon neveu Louis CLERGUE et ses camarades Léonce CHIFFRE, Ernest SANTOUL, René AZALBERT. Ils avaient 20 ans. J’avais prévu le cantonnement de mon unité au château de Septsérous, commune de Badens ; j’y installai mon PC dès le premier jour, le 1er Septembre 1944 et je commençais d’y recevoir « les engagements pour la durée de la guerre ».
Je vis ainsi arriver, en plus de mes maquisards qui les premiers, avaient tenu à me suivre, les jeunes (et parfois même les vieux) des groupes environnants, venus de tous les coins de la région et dont le merveilleux esprit m’autorisait aux plus grands espoirs. Bientôt le cantonnement de Septsérous se révéla insuffisant.
Une section entière, équipée et armée m’arriva de Lézignan, elle était commandée par l’Adjudant BRUNEL assisté de son sous-officier adjoint le Sergent CAYROL. Je fis cantonner cette section au château de Canet, voisin du notre.
Sur ces entrefaites, le Commandant BOUSQUET qui peu de jours après commandée par mon camarade de classe. Le Capitaine GAYRAUD, allait se former à Rustiques, tout près de Septsérous.
Je passais à GAYRAUD un premier noyau de Cadres et d’hommes, et la 2° Compagnie commença à vivre.
Le Lieutenant-Colonel BOUSQUET m’ordonna alors de commencer mes préparatifs de départ. Un Bataillon devait se grouper à Carcassonne. Je fis alors la connaissance du Commandant ALLAUX, venu du Maquis de Picaussel, dont la silhouette est restée légendaire dans son uniforme de « chasseur », et qui prenait le commandement de ce Bataillon.
Le 12 Septembre 1944, la Compagnie du Minervois, quitta le château de Septsérous pour aller s’installer à la Caserne Laperrine, à Carcassonne.