Le « MINERVOIS » ne peut mourir.
Ici va s’arrêter l’évocation de mes souvenirs. « Avec ceux du MINERVOIS » n’a aucunement la prétention d’être un ouvrage littéraire. J’ai voulu seulement pour tous nos camarades, et pour eux seuls, tresser le canevas assez clair de ce que fut notre vie commune.
Chacun, à sa place, complètera ce canevas, un nom que j’ai cité une date, suffiront peut-être pour lui rappeler un souvenir, lui faire revivre un moment de fièvre ou de détente, cela satisfait à mon ambition, si je sais que mon exposé, nécessairement assez succinct, suffit pour rallumer dans le cœur de certains la flamme si vive du MINERVOIS.
Je m’excuse donc (il m’aurait fallu des années pour arriver à tout raconter) si je n’ai pu citer les noms de beaucoup d’autre de nos camarades du MINERVOIS. Tous auraient mérité de l’être car, à chaque nom s’attache un acte d’héroïsme : MINERVOIS et FRANCAIS avant tout, voilà quelle a été notre devise, et nous n’y avons pas failli!
Mais le MINERVOIS n’est pas mort, le MINERVOIS ne peut mourir. Un serment solennel a été prêté et, comme à Sankt Märgen, nous le répétons encore :
« NOUS, ANCIENS DU MINERVOIS, NOUS QUI AVONS SOUFFERT, NOUS QUI AVONS LUTTÉ POUR QUE NOTRE PAYS PUISSE VIVRE LIBRE, NOUS QUI AVONS ACCEPTE LE SACRIFICE HEROÏQUE DES PLUS NOBLES D’ENTRE NOUS, NOUS QUI VIVONS ENCORE ALORS QU’ILS SONT MORTS, JURONS DE RESTER UNIS, AU COUDE A COUDE, MAIN DANS LA MAIN, DE NOUS RETROUVER CHAQUE ANNEE GROUPES COMME UN BLOC AUTOUR DE NOTRE FANION, POUR NOUS INCLINER PIEUSEMENT DEVANT LES TOMBES DE CEUX QUI NE SONT PAS REVENUS OU DEVANT LES MONUMENTS QUI PERPETUENT LE SOUVENIR DE LEUR SACRIFICE. JURONS, EN UN MOT, DE RESTER TOUJOURS MINERVOIS. »
Et en effet, chaque année, les anciens du MINERVOIS se retrouvent dans tous les coins de notre bon vieux terroir : Trausse, Pépieux, Rieux, Olonzac, nous ont accueillis, et nous nous sommes retrouvés, pour une journée seulement, cœur à cœur, comme aux heures de fièvre de 1945.
Il est de mon devoir, maintenant d’évoquer, avec combien de tristesse, la noble figure de notre chef, le Général BOUQUET, que nous avons accompagné, il y a quelques mois à peine à sa dernière demeure.
En 1930, j’ai connu le Lieutenant-Colonel BOUSQUET à l’École Militaire de Saint Maixent, où j’étais élève officier, il fut mon instructeur et se montra de suite très bienveillant sur les quelques Audois que nous étions. C’est à ce moment qu’il présenta l’école de Guerre, il y fut admis n°=1 instituteur dans le Minervois (Castanviels puis Citou). J’eus l’occasion de revoir le Capitaine BOUSQUET originaire de Rieux et qui avait de profondes attaches familiales à Citou. Nous nous revoyions toujours avec plaisir et évoquions quelques souvenirs. Après la défaite, de retour d’orient, le commandant BOUSQUET fut écarté (il allait s’en écarter lui meme) de l’Armée de Vichy. C’est alors qu’il vint me voir et que nous mimes sur pied un programme d’action commun pour l’organisation de la Résistance dans le « MINERVOIS » j’en viens de retrouver l’histoire.
Le 81e RI, revenu en France, et les anciens du « MINERVOIS » ayant été démobilisés, le Colonel BOUSQUET fit un séjour de 3 ans en Indochine, où il gouvernait une région. Rentré en France, il commanda la 5e Région à Toulouse, et c’est là que j’eus l’occasion de le revoir, de le solliciter souvent pour d’anciens camarades : jamais il ne refusa son appui et nombreux sont ceux qui lui doivent certains avantages et leur situation même. Nommé Général de Brigade il eut la douleur de perdre sa vieille mère et le « MINERVOIS » était à ses cotes en cette pénible circonstance, il m’en exprima sa gratitude par ces mots qui le dépeignent tout, et qu’il me dit en m’embrassant : des sanglots dans la voix : »Ca, c’est chic ».
Hélas! notre chef, notre Ami, ne devait survivre que peu de temps à sa vieille maman. Au cours de notre rassemblement de Rieux en 1955, il m’annonça son départ, étant nommé gouverneur militaire du Sénégal. Cet éloignement, que je déplorai, nous faisait perdre notre appui le plus sûr. En réalité, cette perte devait être définitive : à la visite médicale obligatoire, on lui interdit de quitter momentanément la métropole, pour dire la vérité, comme me l’apprirent ses parents de Citou, il avait été reconnu atteint d’un mal sans remède et c’est avec la plus grande douleur que j’appris, par un télégramme, son décès.
Mon Général, vous nous avez quittés, mais vos soldats ont pleuré sur votre cercueil, recouvert de ce drapeau tricolore que vous avez tant aimé. Votre souvenir, toujours vivace dans nos cœurs ne s’éteindra pas, car le « MINERVOIS » sait se souvenir de ses héros. Aujourd’hui, vous reposez définitivement dans le caveau familial, près de votre mère à Rieux. C’est donc au cœur meme du Minervois, de ce Minervois que vous avez défendu, que vous avez libéré, et c’est la terre du Minervois qui a l’honneur de garder jalousement, à jamais, celui qui fut le meilleur de ses enfants. Nous viendrons souvent nous incliner devant ce caveau et, avec recueillement, nous saluerons bien bas votre souvenir, si profondément gravé dans nos cœurs.
Le MINERVOIS a donc perdu son Chef, mais il n’est pas désuni, bien au contraire, cette perte nous a resserrés, car nous vivons aussi avec nos morts.
Oui, le « MINERVOIS » donne un exemple vivant au monde combattant tout entier. Nous ne sommes pas, nous, une Association d’Anciens Combattants qui se forme pour défendre des intérêts communs.
Nous sommes des frères d’armes qui se souviennent. Nous n’avons pas de statuts, nous n’avons pas de bureau, nous n’avons pas de cotisation à verser… j’entends : cotisation en espèces. Nous n’en avons qu’une : « la cotisation du cœur » celle-là est due, elle est sacrée et, même si nous faisons la sourde oreille, nous ne pouvons y échapper, car le « Passé » est là qui nous ramène au sens des réalités.
C’est au cours de notre dernier rassemblement que l’on m’avait demandé d’écrire l’historique du « MINERVOIS ». Déjà écrit à mon retour, je n’ai fait que le reprendre et le compléter par endroits.
Ce que je souhaite :
C’est qu’il parvienne entre les mains de tous nos camarades, et surtout entre celles de ceux qui, par négligence ou par égoïsme, ont oublié……
Oublier? non, ce n’est pas possible. Ils ont essayé, ils ont feint d’oublier; mais en réalité, le feu couve sous la cendre. Une petite étincelle suffit à le ranimer, et la flamme, la « FLAMME » héroïque et vivace issue de nos souffrances et de nos joies, jaillit, haute et claire, au milieu du foyer qui paraissait à jamais éteint.
Que chacun rentre en lui-même, que chacun revive avec moi ces heures inoubliables que nous avons vécues. Qu’il se dise pour lui seul : j’ai été, moi aussi « MINERVOIS » ! Le suis-je resté? Ai-je oublié? Ne reste-t-il rien de ce qui fut notre passé commun? Ai-je été fidèle à mon serment?
Si ces quelques pages de nos souvenirs parviennent entre les mains de tous nos camarades, s’ils les lisent avec leur cœur et leur mémoire, alors, je suis tranquille : les rassemblements annuels du « MINERVOIS » seront assurés du plus grand succès. S’ils y jettent un coup d’œil distrait et reviennent à leurs occupations sans se soucier des souvenirs évoqués et des sacrifices héroïques des meilleurs d’entre nous, mon but sera encore atteint : « ils ne peuvent être « MINERVOIS » n’en étant pas dignes ».
Pour les vrais, pour les purs, jamais aucun de nous n’oubliera ces mois de souffrances, de luttes et de joies que je viens d’essayer de retracer et, par ces souvenirs évoqués, le MINERVOIS mort en 1946, revivra encore plus fier, plus uni que jamais…
« LE MINERVOIS NE PEUT MOURIR…. VIVE LE MINERVOIS ».