Procès-verbal meurtre CATHALA Auguste

 

Ce jourd’hui 24 mai 1944, à six heures.

Nous soussignés : BRU Joseph Adjudant, GLEIZES Germain et SCHALLER Jules gendarmes à la résidence de Chalabre, revêtus de notre uniforme et conformément aux ordres de nos chefs, rapportons ce qui suit :

A notre résidence avons appris par la rumeur publique que les troupes d’opérations avaient effectué une fouille dans le bois de Roudier, commune de Montjardin, et que l’habitation de ce domaine était la proie des flammes.

Nous y étant rendu avons constaté :

A notre arrivée sur les lieux, nous remarquons que la toiture de l’habitation est effondrée et que quelques poutres et chevrons achèvent de se calciner. La bergerie qui est contigüe à cette aile du bâtiment est intacte.

Après examen, nous constatons qu’il existe parmi les décombres sur le coté droit d’une ouverture, un corps humain à demi calciné.

Ce cadavre est couché sur le dos, les bras à demi calcinés, les jambes pliées et brulées jusqu’au mollet. Le visage est complétement calciné et réduit en cendres.

Après examen, nous remarquons que les effets de la partie postérieure ne sont pas complétement brulés. Dans la poche révolver du pantalon, nous y trouvons un portefeuille avec des pièces d’identité au nom de CATHALA Auguste, demeurant à Vinsous, commune de Montjardin.

Nous remarquons également 2 traces de balles, une sur le montant droit de la porte et l’autre sur le mur, coté où nous avons découvert le cadavre.

La balle du montant a pu etre enlevée, celle-ci est du calibre de 9mm.

Nous avons avisé Mr le maire de Montjardin, qui a prévenu la famille CATHALA, et requis un docteur.

Etat des lieux :

Le domaine du Roudier est situé dans la commune de Montjardin, au sud est et à environ 5Kms de cette localité. On y accède par un chemin carrossable en tous temps jusqu’au hameau de Vinsous, et ensuite par un chemin forestier. Cette ferme est complétement isolée dans la foret. Elle était inhabitée depuis plusieurs années. La façade de ce bâtiment est située au sud.

Le sol est complétement recouvert d’herbe, ce qui laisse présumer que les lieux étaient peu fréquentés.

Après examen fait par le docteur BARADAT de Chalabre, et sur instructions de Mr le maire de Montjardin, le cadavre a été placé dans un cercueil et transporté à la mairie de cette localité.

Nous livrant à une enquête, avons recueilli les renseignements suivants :

Déclarants :

CATHALA Marius, 44ans, ouvrier agricole au Vinsous, commune de Montjardin, déclare à 12h00 :

« Hier matin vers 8h00, des soldats des troupes d’occupation se sont présentés chez moi et ont invité mon fils Auguste âgé de 19 ans, à les suivre afin de leur servir de guide pour opérer dans la foret du Roudier. Immédiatement mon fils a consenti à leurs désirs.

Le soir, vers 18h00, ces mêmes soldats étaient de retour au domaine, mais mon fils n’étaient pas avec eux. De suite, je me suis douté qu’il s’était attardé. Ne le voyant pas arriver, à 20h00 je me suis mis à sa recherche, mais vainement.

J’ai recommencé mes recherches dans la matinée sans pouvoir le découvrir. Je ne peux dire ce qui s’est passé.

Mon domaine a été assiégé par d’autres militaires de 8h00 à 18h00, avec défense d’en sortir.

Les lambeaux de chemise et de tricot que vous me présentez, sont bien les habits de mon fils.

C’est tout ce que j’ai à dire. »

 

JOURET Lucien, 41 ans, chef d’entreprise forestière à Roquefixade, demeurant à Rivel, déclare à 13h00 au Roudier :

« Hier 24 courant, vers 11h00, j’étais de passage au domaine de Vinsous, pour me rendre à Bouquier, commune de Feste et Saint André, lorsque j’ai été interpellé par des soldats allemands.

Ceux-ci m’ont questionné sur mon travail et m’ont gardé jusqu’à 16h00. J’ignore les motifs de cette surveillance.

Vers 12h30, j’ai entendu une rafale de mitraillette provenant de la direction du Roudier. C’est tout ce que j’ai entendu et n’ai pas autre chose à dire. »

 

LAGARDE Antoine, 51 ans, propriétaire au hameau de Cazalens, commune de Montjardin, entendu au Roudier déclare à 14h00 :

« Hier vers 8h00, une cinquantaine de soldats allemands sont venus assiéger mon domaine. Ils ont perquisitionné, mais vainement.

A toute la famille ils ont intimé l’ordre de rester à l’intérieur. Vers 12h00, ces soldats ont tiré une rafle de mitrailleuse, cette arme était placée devant la maison d’habitation.

J’ignore l’objectif visé. Je n’ai pas perçu la rafale de mitrailleuse tirée dans la direction du Roudier. Je n’ai pas remarqué les armes dont ils étaient porteurs, ni s’ils avaient des lance flammes.

C’est tout ce que j’ai à dire. »

 

CATHALA Marius, entendu à nouveau déclare à 14h30 au Roudier :

« Quand les soldats allemands sont descendus du Roudier, ils étaient porteurs de quelques mallettes et de sacs tyroliens. »

 

BOULBES Julien, maire de la commune de Montjardin, entendu à son domicile à 16h00 déclare :

« Ignorant ce qui s’est passé, je ne peux donner aucun renseignement sur les circonstances de la mort du jeune CATHALA. Il est exact que les allemands ont fouillé le bois du Roudier et du Courtizaire, mais je ne peux dire pour quel motif.

Je n’avais connaissance d’aucun ilot de réfractaires existant dans ces forêts.

La famille CATHALA n’a pas des idées subversives et n’est pas hostile au gouvernement actuel. Le fils n’était pas réfractaire, et ne faisait partie d’aucun groupe anti national.

A mon avis, d’après les constatations faites, il est à croire que le fils CATHALA est mort d’une balle, car j’ai remarqué les traces sur le montant de la porte et sur les murs. »

 

Nous avons prévenu téléphoniquement de cet incident notre Commandant de section ainsi que Mr le Procureur de l’Etat Français à Carcassonne.

La balle du calibre 9mm a été déposée au bureau de notre brigade.

Avant de clore notre procès-verbal, nous avons appris que Mr SAURAT Jean, 41 ans facteur des PTT à Chalabre, distribuant son courrier avait été appréhendé par les allemands.

Ce dernier interrogé sur ces faits à 17h00 déclare :

« Le 23 courant vers 9h00, je me suis présenté au hameau de Vinsous, pour remettre le courrier à la famille CATHALA. J’ai été encadré par 4 soldats de l’armée de l’occupation et gardé à vue durant une heure environ.

Ensuite ils m’ont autorisé à poursuivre ma tournée et je me suis rendu au hameau de Cazalens. A cette ferme, j’ai été également gardé à vue par 4 soldats jusqu’à 14h00. A ce moment, un gradé m’a autorisé à poursuivre ma route. Durant la journée, j’ai entendu des coups de mitraillettes tirés dans les bois par les troupes d’occupation.

J’ignore ce qui a pu se passer exactement, ni pour quelle raison ces opérations ont eu lieu.

J’ajoute qu’à mon arrivée au Vinsous, le fils CATHALA était parti accompagner les soldats. »

Etat civil de la victime

CATHALA Auguste, né le 31 aout 1925 à Labastide sur l’Hers (Ariège), fils de Marius et de AMAT Marie, de nationalité française, célibataire, cultivateur à la ferme de Vinsous, commune de Montjardin, ainé d’une famille de 10 enfants.

 

Libellé du certificat médical

Je soussigné docteur BARADAT à Chalabre, me suis rendu au domaine du Roudier, commune de Montjardin, pour procéder aux constatations d’un cadavre, découvert dans cette métairie.

Place du cadavre : le cadavre se trouve dans les ruines encore fumantes de la métairie, il est couché sur le dos prés d’une porte, le long de la face intérieure du mur et presque parallèlement à elle.

Etat du cadavre et des vêtements : le cadavre est calciné. Les diverses parties du corps sont facilement reconnaissables dans leurs rapports normaux, et d’ailleurs cohérentes. Les vêtements qui adhèrent à la face antérieure du corps sont très altérés. Les mains et les pieds ont disparu et les 4 membres laissent voir le squelette, sectionné à sa partie moyenne, entouré d’un peu de chair carbonisée.

La figure est méconnaissable, mais sa forme d’ensemble est conservée. Les téguments sont carbonisés. La boite crânienne est défoncée sur le coté droit, où il existe dans la région fronto pariétale une brèche de la largeur de la main.

Dans la région thoraço abdominale droite existe une large brèche de la forme et de la surface de la page d’un inquarto laissant voir la base du poumon droit, le foie et les intestins. Ces viscères sont retractés et carbonisés, mais dans leurs rapports normaux.

L’état des articulations des genoux est intéressant à noter car si les séguments et les capsules articulaires ont disparu les rapports des surfaces osseuses permettent d’affirmer indubitablement que les jambes étaient reliées sous les cuisses, les pieds environ au niveau du seuil, un peu à droite.

Sur la face postérieure du cadavre, les vêtements sont beaucoup moins altérés par le feu et les diverses parties de l’habillement sont facilement identifiables. Dans la poche intérieure de la veste on retrouve presque intact un petit portefeuille de cuir contenant des photographies de famille et une carte textile qui permettent d’affirmer l’identité du cadavre.

Sur la face postérieure du tronc les téguments et les chairs sont presque intacts sur une large surface. On n’y trouve ni de phlyctène ni d’érythème. On ne trouve pas non plus à ce niveau trace de blessure.

Discussion : il parait difficile de dire si les 2 brèches dont nous avons parlé sont dues à des blessures soit directement, soit indirectement, blessures multiples et voisines favorisant l’action du feu, ou si elles sont postérieures à la crémation et dues à des altérations faites au cadavre calciné et fragile par la chute des décombres. Par contre l’absence des phlyctènes et d’érythèmes sur les séguments encore intact laisse supposer que le corps a été brulé après la mort.

Conclusions : des traces de balles relevées sur le chambranle de la porte et sur le mur semblent s’accorder avec la place et l’état du cadavre pour permettre de formuler l’hypothèse suivante : le décédé était sur le seuil de la porte, tourné en avant et légèrement à droite lorsqu’il a été abattu par une rafale de mitraillette tirée de face. Il s’est effondré la face tourné vers le ciel. Le cadavre a été laissé sur place et a été calciné dans l’incendie de la maison. Il ne m’a pas semblé utile de retarder la mise en bière.

 

Source : AD11