Procès-verbal n°=210 du 18/06/1944, brigade de Capendu.
Affaire LLAGONNE-FABRE et soldat allemand.
Ce jourd’hui, 18 juin 1944 à une heure trente.
Nous, soussignés MAS Alphonse et CHAUMAZ Edouard, gendarme à la résidence de Capendu, département de l »Aude, revêtus de notre uniforme et conformément aux ordres de nos chefs, rapportons ce qui suit :
Etant à notre caserne, avons été prévenus téléphoniquement le 17 juin 1944 à 18h30 par le maire de Montirat qu’un ou plusieurs individus revêtus d’uniformes de soldats allemands, semaient la terreur dans le village. Il ajoutait qu’ils avaient tiré des coups de feu et tué un de ses administrés, le nommé LLAGONNE.
Nous avons aussitôt prévenu par téléphone notre Commandant de section qui nous a ordonné de nous rendre sur les lieux.
Nous sommes partis immédiatement en motocyclette et arrivés sur le CGC n°=3 près de Montirat, nous avons rencontré notre Commandant de section qui nous a aiguillé sur Monze où l’un de ces individus s’était dirigé. Arrivés à ce village, nous nous sommes joints aux gendarmes de la brigade de Carcassonne et aux gendarmes allemands qui venaient d’arriver sur les lieux. Nous avons alors vu un des fugitifs gravir la montagne au sud de Monze.
Nous avons appris qu’une jeune fille qu’il avait entrainée avec lui, venait d’etre grièvement blessée.
Le fugitif, un soldat déserteur allemand, a été capturé après une chasse à l’homme mouvementée qui a duré près de deux heures.
La jeune fille blessée du nom de FABRE Marie Paule domiciliée à Pradelles en Val atteinte d’une balle à la tête a été visitée par le docteur BECH de Trèbes mandé sur les lieux, qui a prescrit son transport d’urgence dans une clinique de Carcassonne.
Le déserteur a été mis en état d’arrestation par les gendarmes allemands qui l’ont immédiatement emmené en automobile.
Nous nous sommes livrés à une enquête et avons appris que contrairement aux renseignements donnés t téléphoniquement par le maire de Montirat, il ne s’agissait pas de plusieurs individus mais d’un seul soldat allemand.
Nous avons interrogé les personnes suivantes de Monze qui ont été l’objet de violences de la part de ce déserteur. Elles nous ont déclaré :
Monsieur ARNAUD Jean, 79 ans, propriétaire viticulteur domicilié à Monze, déclare à 21h30 :
« Cet après-midi 17 juin courant, vers 18h00, je me trouvais dans une vigne au lieu-dit « Le Gendarme », commune de Montirat. J’ai vu surgir d’un taillis, un homme portant l’uniforme allemand. Il s’est dirigé vers moi et m’a appuyé le canon de son fusil sur le ventre et m’a donné l’ordre de partir avec mon attelage en direction de Montirat. Je lui ai dit que j’allais vers Monze. Il est alors monté sur ma voiture et quelques mètres après avoir démarré il m’a fait signe de m’arrêter. Il m’a fait descendre et m’a roué de coups. Il est remonté et après avoir parcouru quelques mètres, il a vu venir une jeune fille qui arrivait sur la route en bicyclette de la direction de Fontiès, il est à nouveau descendu et m’a dit de continuer mon chemin. Il s’est dirigé vers cette jeune fille et lui a fait déballer ce qu’elle portait. J’ai continué mon chemin et n’est pas essayé de venir en aide à cette jeune fille ; d’abord je m’en sentais incapable en raison de mon état physique, ensuite parce que j’étais persuadé que ce soldat n’hésiterai pas à faire usage de son arme.
Je suis arrivé chez moi et peu de temps après je l’ai vu arriver avec la jeune fille et mon voisin CAVERIVIERE. Je ne me suis pas montré me trouvant encore sous l’empire de La frayeur. J’ai appris par la suite qu’il avait entraîné la fille vers la montagne d’Alaric, toujours sous la menace de son arme et que se sentant traqué par les gendarmes français et allemands qui avaient été prévenus il avait tiré sur elle et avait pris la fuite.»
Lecture faite persiste et signe.
Monsieur CAVERIVIERE Maurice, 49 ans, propriétaire viticulteur domicilié à Monze déclare à 22h00.
« Ce jour 17 juin courant à 18h30 je me trouvais sur le CGC n°=3 au lieu-dit « col de bouc » commune de Monze, lorsqu’un homme porte l’uniforme de soldat allemand qui se trouvait avec une jeune fille sur la route que je suivais, m’a crié de m’arrêter. Comme je continuais ma route il m’a mis en joue avec son arme. Je me suis alors arrêté. Il est venu vers moi et a mis les affaires qu’il portait ainsi que la bicyclette de la jeune fille sur la charrette. Puis il m’a fait signe de marcher en direction de Monze. Il m’a suivi. Il donnait son bras à la jeune fille qui apeuré me disait un langage patois de ne pas la quitter point nous sommes arrivés ainsi à Monze. Plusieurs personnes de la localité étaient assemblées. Il les a menacées de son arme. Prises de peur elles se sont enfermées chez elles. Il m’a suivi chez moi emmenant toujours la jeune fille qui n’osait pas réagir craignant le pire. Après avoir saccagé quelques affaires chez moi avec la crosse de son arme, il est parti toujours avec la jeune fille vers la montagne l’Alaric. Personne n’a essayé d’intervenir par crainte de représailles, car ce soldat paraissait ne pas vouloir se laisser faire. Quelques instants après, les gendarmes français et allemands sont arrivés. Le soldat allemand et la jeune fille se trouvaient alors à 300 mètres au sud du village. La fusillade a éclaté de part et d’autre. Le soldat allemand voyant sans doute que la jeune fille hésitait à le suivre a dû lui tirer dessus car on l’a vu tomber. Il a alors disparu dans la montagne talonné par les gendarmes qui ont pu le rejoindre après une chasse à l’homme assez longue. La jeune fille a été blessée à la tête elle a été visitée par le docteur BECH de Trèbes qui a ordonné son transport immédiat dans une clinique de Carcassonne. Elle est domiciliée à Pradelles-en-Val, elle se nomme Fabre Marie-Paule et est âgée de 20 ans environ «
Lecture faite, persiste et signe.
Le père de la jeune fille domicilié à Pradelles en Val été prévenue par les soins du maire de Monze. Il n’a pu être interrogé.
Nous nous sommes rendus à Montirat où nous avons recueilli les renseignements suivants :
Mademoiselle FERRIE Simone, 18 ans, ouvrière agricole domiciliée à Montirat déclare à 23h00 en présence de ses parents :
« Cet après-midi 17 juin courant vers 15h00 un individu habillé en uniforme allemand, s’est présenté à la maison alors que j’étais seule et m’a demandé de lui céder un costume civil pour se rendre en Espagne. Je lui ai répondu non. Il m’a alors menacé de son fusil. À ce même instant passait un motocycliste sur la route, il l’a épaulé et lui a tiré dessus sans toutefois l’atteindre. J’ai profité de ce moment où il était distrait de moi pour m’échapper par une porte dérobée et j’ai couru à travers champs. Pendant mon absence cet individu a saccagé la maison, il a également échangé son portefeuille contre celui de mon père qui contenait sa carte d’identité et différents papiers personnels. Je dois dire que cet individu me faisait l’effet d’un être ivre ou anormal. Il criait et gesticulait comme un fou. Quand j’ai vu que les gens qui travaillaient dans les champs étaient rentrés au village, je suis rentré aussi. J’ai appris à ma rentrée que monsieur LLAGONNE venait d’être tué par lui. »
Lecture faite, persiste et signe.
Monsieur FERRIE Jean, 58 ans, propriétaire domicilié à Montirat déclare à 23h30 :
« Dans l’après-midi de la journée du 17 juin courant monsieur LLAGONNE est venu tout affolé ? m’avertir alors que j’étais à la vigne ? qu’un soldat allemand était en train de saccager ma maison. Comme je venais pour me rendre compte des faits, mon épouse qui venait de le voir abattre le nommé LLAGONNE lequel s’en retournait par un autre chemin, m’a fait signe de ne pas continuer. À ce moment-là j’ai été remarqué par cet individu qui a fait feu sur moi. Il a alors fait demi-tour et ne s’est plus occupé de ce que je faisais et a pris la direction de Monze à travers champs.
Cet individu a causé à mon habitation les dégâts suivants : il m’a brisé un service à verre en entier, un service de table en porcelaine, une quantité assez importante de faïence et verrerie, il m’a également renversé le poste TSF qui ne fonctionne plus, il m’a brisé aussi 4 carreaux et 2 montants d’une fenêtre.
J’estime tous ces dégâts à la somme suivante : 5000 francs pour la vaisselle et verreries, j’évalue le poste de TSF à 10000 francs car j’ignore les conséquences qui peuvent résulter du choc qu’il a reçu. Ce soldat m’a également pris mon portefeuille qui contenait ma carte de combattant, ma carte d’identité est divers autres papiers personnels. »
Lecture faite, persiste et signe.
Nous avons constaté un amoncellement de verrerie, porcelaine et faïence sur toute l’étendue du parquet de la cuisine.
LLAGONNE Jean a été abattu d’un coup de fusil alors qu’il se trouvait dans un champ situé à 100 mètres au sud du village de Montirat. À notre arrivée dans cette localité, son corps avait été transporté à son domicile, nous avons constaté qu’il avait été frappé d’une balle qu’il l’a atteint dans la région lombaire et qui est sorti du côté gauche de la poitrine.
En raison de l’abattement de la veuve de la victime nous nous sommes abstenus de procéder à son audition. Le portefeuille et les papiers laissés par le déserteur chez monsieur FERRIE ont été recueillis par notre Commandant de section qui les a remis à l’autorité allemande.
Monsieur CAVAYE Ernest , 58 ans, maire de Montirat déclare le 18 juin à 01h30 :
« Dans l’après midi de la journée d’hier, vers 15h00, alors que je travaillais à ma vigne, j’ai été alerté par des coups de feu tirés dans le village. Je suis rentré et j’ai remarqué un homme portant l’uniforme de soldat allemand qui gesticulait, tenant un fusil dans les mains. N’étant pas armé je n’ai pu l’interpeller mais suis allé vous avertir par téléphone. J’ai appris que pendant que je vous téléphonais, cet individu avait tué mon administré LLAGONNE.
Lecture faite, persiste et signe
Etat civil des victimes :
LLAGONNE Jean né le 14/10/1902 à Prats-Balaguer (commune de Fontpédrouse 66) de Jean et de MONIE Marguerite, marié 3 enfants.
FABRE Marie Paule née le 2/08/1926 à Pradelles en Val de Emile et de ARMENGO Juliette, domiciliée au dit lieu.
Source : AD11 107W144